Jean-Marc Warszawski, 2025
Pierrette Mari, Escalades sur un piano, Jean-Dubé (piano), Jasmine Jardon (violoncelle, plage 7), œuvres de Pierrette Mari et d'Olivier Messiaen, Ciar classics 2024 (CC 019).
Enregistré à Châtenay - Malabry le 2 juillet 2017 et à Tihange les 18-19 juin 2024.
Jean Dubé au programme, c’est une valeur sure. Il a fui la rudesse hivernale et la dangerosité des ours du Canada (où sa grand-mère l’a vissé au tabouret de son piano) au profit de la douceur hivernale et le mimosa de Nice, pour finir dans la tempérance civilisée parisienne où il obtint ses Premiers prix au Conservatoire national et moissonna un peu partout ceux des concours internationaux. Il n’est plus assez jeune pour que les médias le vendent comme l’enfant prodige qu’il fut, ou jeune plein de promesses, qu’il tient maintenant, ni assez âgé pour le temps des hommages émus. Les médias ne vendant pas de l’art, mais de l’image, il est donc aujourd’hui un artiste discret, comme on dit. D’autant que lui-même ne s’intéresse pas outre mesure aux programmes vedettes. Il y a bien du Bach, du Liszt, du Chopin dans sa soixantaine d’albums, mais surtout des choses rares, comme des œuvres de piano à pédalier (Syrius 2012), de Louis Vierne qui ne courent pas les rues (Syrius 2015), des mélodies de Louis Diémer et de Marcel Dupré (Solstice 2024), des standards du jazz et le jazz virtuose pseudo improvisé-écrit de Nikolaï Kapustin et un grand nombre d’inconnus tels Jean-Paul Penin, Erkki Melartin, Demis Visvikis, etc. et pour cet album, Pierrette Mari.
Pianiste et compositrice d’entre Nice et Paris, elle a comme Jean Dubé obtenu ses prix de piano, mais aussi d’écriture et de fugue, au Conservatoire de Nice puis au National de Paris. Munie d’un certificat d’aptitude (à enseigner dans les conservatoires nationaux) d’histoire de la musique et d’esthétique, elle a essentiellement vécu de son enseignement, particulièrement à l’université Paris IV et s’est fait connaître par ses biographies d’Olivier Messiaen dont elle fut l’élève (« musiciens de tous les temps » [21], Seghers, Paris 1965), d’Henri Dutilleux dont elle fut proche (« Musiciens de notre temps », Hachette, Paris 1973) et (Zurfluh, Paris 1988), Béla Bartók (« classiques de la musique », Hachette, Paris 1970), elle a également écrit deux recueils de poèmes (Zurfluh 1987 et 1988).
Bien qu’une partie de ses plus de 200 compositions aient été publiée, elles sont restées à la porte des programmes discographiques et de concert. Cela peut s’expliquer par une esthétique accrochée à l’entre-deux deux guerres… Et pourtant.
Il y a une belle énergie dans cette musique pour piano, de la spontanéité, proche de l’improvisation, virevoltante structurée autour d’idées musicales, autant ou plus que par des thèmes. Le thème, variations et final de 1955, une de ses premières compositions au catalogue, porte parfaitement son nom, mais le croisement d’une écriture parfaitement impressionniste, non pas pointilliste, mais de rapides éclats formant les phrases avec des citations de Johann Sebastian Bach (le thème lui-même), d’esquisses de fugues à des formules rythmiques rappelant le Clavier bien tempéré attirent l’attention, au moins au début.
Pierrette Mari s’est prise de passion pour la montagne, après l’ascension surmédiatisée de l’Annapurna par Maurice Herzog en 1950, qu’elle a approchée ainsi que son frère journaliste Hubert Herzog. Elle s’est inscrite au Club alpin et a pratiqué l’alpinisme. D’où ses cinq Escalades sur un piano, dont chacune est consacrée à un sommet (elle en a escaladé certains) : L’Aiguille du Midi (1958), Les petits Charmoz (1961), Le Chardonet (1965), L’Aiguille verte (1968), à la mémoire d’Hubert Herzog, mort dans une chute d’hélicoptère, Les grandes Jorasses (1969), L’Aiguille de Blaitière (2014), qui manque malheureusement à cet enregistrement.
Le temps faisant, mais aussi le caractère descriptif et expressif de ces pièces, d’ombre à lumière, de finesse à massivité, de vitesse à lenteur, d’ascension à descente, de lourdeur à vélocité, qui ne font aucune économie de virtuosité, libère le style de Pierrette Mari qui intègre la modernité des Messiaen et Dutilleux. Ou bien l’affirmation du style de Pierrette Mari profite merveilleusement à ses Escalades. On peut même penser que l’évolution des variations de 1955, abandonnant peu à peu, dans leurs successions, les références « académiques » signe peut-être cette entrée en style Pierette Mari sans frayeur pour les excursions atonales ou les cordées de clusters.
Avis aux mélomanes avides de belles choses inconnues, ou l'escalade est à deux sens, celle décrite et celles du pianiste.
Pierrette Mari, Escalades, « Les grandes Jorasses », plage 6 (extrait).1. Thème et variations ; 2-6. Escalades sur un piano : L’Aiguille du Midi, Les petits Charmoz, Le Chardonnet, L’Aiguille verte, Les grandes Jorasses ; 7. Alpes et Alpilles (duo violoncelle et piano) ; 8. Espace intemporel ; 9 Visages polaires (lent-piu vivo, lent, vivace) ; 10-11, Olivier Messiaen, Le catalogue d’oiseaux (extraits) : Le Chocard des Alpes, Le Traquet rieur.
Jean-Marc Warszawski
9 janvier 2025
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