Frédéric Léolla, 10 novembre 2025

Les héroïnes de Händel dans leur contexte

Martinez Yseult, Händel et ses héroïnes : un imaginaire de la puissance des femmes. « Lire le xvii^e siècle » (88), Classiques Garnier. Paris 2025 [651 pages].

La supposée médiocrité des livrets d’opéra est un des lieux communs les plus tenaces et les plus répandus parmi le public. Pourtant les compositeurs que nous admirons ont écrit leurs musiques sur ces livrets et pour répondre aux enjeux que ces livrets mettaient en place.

Ce lieu commun est encore plus coriace quand on parle de l’opéra de la première moitié du xviii^e siècle, l’opéra de style napolitain caractérisé para l’alternance d’airs et de récitatifs, dont les livrets sont particulièrement décriés de nos jours. Mais, de par cette conception chaque œuvre risque d’être réduite à une simple succession d’airs plus ou moins jolis…

Faisant fi de ces préjugés, Yseult Martinez, docteur en histoire moderne de Sorbonne Université, qui a déjà travaillé sur la figure du maître-à-danser ou sur les castrats, se penche sur trois livrets de Händel entre 1730 et 1740 (Partenope, Alcina, Berenice). Elle s’intéresse plus particulièrement aux figures féminines en les regroupant dans trois catégories : la reine (Partenope, Berenice), la magicienne (Alcina) et la femme qui se travestit en homme (Bradamante, Rosmira).

Martinez a l’intelligence de situer ces livrets dans leur contexte historique, autant politique que social, s’intéressant aux différentes conceptions de la femme chez le public londonien de 1700, suggérant des transpositions (la magicienne d’opéra renverrait à la courtisane du xviii^e, par exemple) et remontant si nécessaire aux temps élisabéthains pour mieux cerner certains aspects. Elle côtoie ainsi les livrets originaux avec la traduction anglaise à disposition des contemporains de Händel, a la patience de bien expliquer les relations du « divino sassone » avec la reine Anne et avec la nouvelle dynastie de Hanovre (en particulier la reine Caroline), et nous livre autant des témoignages d’époque (cités en français dans le corps de texte et dans la langue originale en note de bas de page), que des données tirées d’ouvrages spécialisés (la bibliographie est très abondante), ou des théories d’autres chercheuses et chercheurs (les théories musicologiques queer de Corinne E. Blackmer et Patricia J. Smith par exemple)…

Elle montre aussi, citations musicales à l’appui, comment ces conceptions de la femme influencent directement le travail du compositeur, comment Händel va choisir des tonalités différentes, ou travailler sur la vocalité pour proposer telle ou telle couleur pour le personnage.

Cela est fait avec sérieux, mais aussi avec une pointe d’humour musical — en particulier dans la division en chapitres et leur sous-titrage.

Certes, selon les lecteurs, nous serons plus intéressés par les méandres psychologiques du personnage ou par ses implications historico-sociologiques. Ce sont les avantages — ou les inconvénients — d’un texte si fourni et si riche (plus de 600 pages).

Dans tous les cas Martinez écrit dans un style très clair, avec un vocabulaire accessible à tous (un glossaire de termes musicaux est proposé en fin d’ouvrage), ce qui n’est pas une des moindres qualités de ce livre. Un livre qui ravira tous les händeliens du monde et intéressera à coup sûr autant les amateurs d’Histoire que les mélomanes en général.

NB — l’autrice fait un petit laïus sur l’orthographie de Haendel, Händel ou Handel, et finit par adopter cette dernière, qui est en fait celle que les Anglais utilisent.

Frédéric Léolla
10 novembre 2025

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ISSN 2269-9910

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Lundi 10 Novembre, 2025 2:04