Port-Bail sur Mer du 19 au 21 septembre 2025 —— Alain Lambert.
Le cinquième festival jazz de Portbail, un lustre donc, confirme l’enracinement de ce week-end musical dans son paysage de havre et de dunes, avec des salles bien remplies, plus de mille spectateurs cette année, alors que la première édition tournait autour de 400 curieux. Mais la grande salle de la communauté de communes a dû refuser quelques amateurs le premier soir, ce qui pose la question de comment s’agrandir.
Ana Kap aux Arches en Jazz. Photographie © Patricia Segretinat.
Le vendredi en fin d’après midi à la médiathèque de Portbail, Ana Kap fait l’ouverture en ajoutant au trio originel la voix et les textes de Betty Jardin. Comme ils sont en anglais et qu’elle ne se met pas en avant, on l’entend comme un quatrième instrument. Pierre Millet est à la trompette vibrante, à la plupart des compositions, Manuel Decocq au violon éthéré et Jean Michel Trotoux à l’accordéon enraciné. Depuis quinze ans, basés à Lion sur Mer dans le Calvados, avec une dizaine de disques au Petit Label, ils ont parcouru la région et ailleurs avec pas loin d’un demi-millier de concerts. La musique a gardé son caractère forain, tzigane et balkanique mâtiné de jazz, avec en quartet une dimension et une couleur supplémentaires bienvenues.
Le soir à Saint-Lô d’Ourville, Céline Bonacina et Laurent Dehors sont en duo, l’une alternant saxos baryton et soprano, et l’autre clarinettes, standard ou contrebasse, avec un soupçon de musette de centre ouest ou de pipeau rose. On pourrait penser que tout ça va être austère, mais pas du tout. Humour et complicité des musiciens, et des instruments, en font un moment grave, par les sons, et joyeux, mélodique, créatif. Même pour un public pas forcément habitué au jazz, leurs incursions frisant le free jazz passent sans problème, tellement leur plaisir de jouer est communicatif.
Rien à voir ni à entendre avec le groupe suivant composé de cinq excellents musiciens eux aussi, Ludivine Issambourg aux flûtes pour la suite de son projet en hommage à Hubert Laws « Above the Laws ». Michaël Lecocq est aux claviers, Philippe Bussonnet à la basse, Martin Wangermée à la batterie, Sylvain Fétis au sax alto et Vincent Aubert au trombone. Une musique funk jazz virtuose, mais souvent déséquilibrée par l’omniprésence de la flûte s’imposant à tout moment, quel que soit le soliste en jeu, et au son flûté parfois trop réverbéré et confus. Dommage, un équilibre à retrouver et retravailler.
Le lendemain, dans l’église maritime de Portbail, un duo jazz baroque avec David Chevalier au théorbe sympathique et Geoffroy Tamisier à la trompette étincelante. Un duo intimiste dans la tradition musicale ouverte par le guitariste Ralph Towner. De somptueux musiciens dans un cadre qui leur convient, même si on se languit un peu au fil du concert. L’utilisation de la sourdine par le trompettiste pour le dernier morceau est un peu tardive, et aurait pu varier les paysages évoqués. Quant au petit théorbe, magnifique et intrigant, il n’a pas l’ampleur sonore de la guitare classique qui a fini par le remplacer.
Autre duo l’après-midi dans le même lieu, Ourika avec Clémense Mersout et Valentin Hoffman aux violoncelles. Une merveille de complicité et de sonorités inspirées des diverses traditions autour de la Méditerranée, plutôt vers l’est, la Grèce et la Macédoine, ou plutôt vers le Sud marocain, dont Clémence partage la culture du côté paternel. Une façon inventive de renouveler la musique dite classique, non par des expérimentations bruitistes ou spectrales, mais en la nourrissant de musiques populaires. Leur longue pièce Méandres est un modèle du genre, nous faisant voyager d’une terre musicale à une autre.
Retour à Saint-Lô d’Ourville pour le double concert du soir. D’abord, le trio Tatanka, entendu et apprécié en quartet à Coutances en mai, et revenu en train de Lyon pour un autre programme, tout aussi passionnant et ludique. Aux claviers, Guillaume Lavergne éblouit par les climats sonores qu’il nous offre, loin du jeu pianistique habituel. Guillaume Bertrand à la batterie, insiste sur la dimension ultra syncopée de son instrument. Quant à Emmanuelle Legros, trompettiste sobre et toy pianiste, elle compose et propose ses univers à mettre en musique en une connivence telle qu’on l’imagine impossible hors de ce beau trio.
Le Canto 4tet aux Arches en Jazz. Photographie © Gérard Boisnel.
Ensuite, Canto, emmené par Mathieu Chazarenc à la batterie, à la voix et aux compositions, avec Laurent Derache à l’accordéon chatoyant, Sylvain Gontard au bugle chantant et Christophe Wallemme à la contrebasse. Le leader a accompagné Charles Aznavour sur la fin de sa carrière et on sent l’amour des chansons populaires, en remontant jusqu’à Gaston Phébus et à son Se Canto devenu hymne occitan. Il a aussi joué avec Sylvain Luc, son voisin du Béarn, guitariste de jazz disparu à qui il rend hommage. Un jazz classique et limpide passant d’un morceau à l’autre dans une belle entente musicale et un bel canto instrumental épatant.
Pour clore le festival le dimanche, malgré la pluie obligeant à abandonner le havre et les mouettes pour rejoindre la salle polyvalente voisine, le quartet Roda Minima est venu de Coutances, spécialiste à sa façon du forro du Nord-est brésilien. Une musique de rue propice à la danse et au balancement des corps. Ce que le nombreux public a mis très vite en pratique, en particulier dans une chenille inédite. À la surprise des talentueux musiciens, Martin Daguerre aux sax soprano et baryton, Benjamin Sallé au trombone et à la guitare, Philippe Boudot à la batterie et Arnaud Simon à la trompette et au trombone. Et comme le festival était dédié à Hermeto Pascoal, récemment disparu, ce final ne pouvait mieux danser.
19-21 septembre 2025
© musicologie.org
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.
ISNN 2269-9910.
Mardi 30 Septembre, 2025 1:27