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Jean-Marc Warszawski, 29 septembre 2025

Le règne du roi Charles le Fol en Musique

Le grand embrasement, Music for a madking, ensemble à vent Into the Winds

Le grand embrasement, Music for a madking, ensemble à vent Into the Winds, anonymes, Magister Grimace, Johannes Haucourt, Richard de Bellengues (Cardot), etc., Ricercar 2025 (RIC 476).

Enregistré en novembre 2024, église Notre-Dame de Centeilles.

Le 22 septembre dernier, au Temple du foyer de l’âme à Paris, l’ensemble Into the Winds (English is more sophisticated) présentait le programme de leur nouveau cédé, Le Grand embrasement : Music for a Madking (Charles VI qui était bien toqué et « bien aimé », mais pas anglais).

Nous aimons beaucoup le son de cet ensemble en quintette, et bien sûr la qualité des instrumentistes : Adrien Reboisson (chalemie, bombarde, flûtes), Marion le Moal (bombarde, chalemie, fifre, flûtes), Rémi Lécorché (trompette à coulisse, busine, flûtes), Julián Rincón, au concert, mais pas au disque (bombarde, flûtes), Laurent Sauron (percussions), Anabelle Guibaud, au disque et pas au concert (chalemie, fifre, flûtes). Pour le concert, l’ensemble a bénéficié du renfort non négligeable de Pierre Hamon (flûtes, cornemuse), adoubant ainsi le quintette.

Nous aimons l’idée et la réalisation de ce programme concept, évoquant à partir de textes médiévaux le règne de Charles VI « le fol », qui ne fut pas de tout repos, tant dans les tourmentes intérieures que dans les fureurs des guerres extérieures, où la royauté française sombra dans le chaos à la bataille d’Azincourt en 1415. Fort heureusement, cette évocation historique apporte surtout un cadre poétique à travers la langue des chroniqueurs d’époque (en concert, pas au disque), dont le but était d’honorer la mémoire des grands de leur monde, pas nécessairement la véracité tatillonne. On en dira autant de la musique, arrangée d’après des œuvres vocales d’époque, souvent des chansons, composées par des anonymes, qui le sont même en ayant laissé leur nom sur quelques œuvres, parfois une seule, encore notées en neumes. La fanfare « Tuba Gallicalis », pourrait laisser perplexe par son statut de musique instrumentale notée, mais on peut penser qu’elle était à l’origine chantée. Elle a été transmise par le manuscrit 222 de la bibliothèque municipale de Strasbourg (Codex Strasbourg) qui a été détruit au cours de la guerre de 1870. Elle a été par la suite « reconstruite » à l’aide de copies.

On n’est pas ici dans une fastidieuse reconstruction historique, mais dans une appropriation, qui est pour nous crédible, dont nous apprécions le cadre franchement savant, une musique notée au xiv xve siècle ne pouvant être que très savante. Into the Winds évite sans problème le revival folklorisant des « reconstructeurs », qui n’a d’ailleurs pas de source documentaire, et aussi les clichés du plain-chant. L’Église comme la Cour ont naturellement érigé leurs cultures musicales pour se distinguer entre elles et surtout des pratiques populaires.

Nous regrettons que l’enregistrement ne comporte pas les insertions littéraires introduisant chacun des huit épisodes choisis pour mailler le règne de Charles VI.

Outre cette absence, on note quelques différences entre le programme de l’enregistrement et celui du spectacle, auquel l’épisode de l’assassinat du duc de Bourgogne est retiré, ses musiques intègrant le premier épisode, celui du couronnement de Charles VI. Six morceaux ont été en tout supprimés pour le spectacle, qui en comporte toutefois un ne figurant pas sur le disque, Va-t’ent souspier, je t’en supplie d’Estienne Grossin, un prêtre originaire du diocèse de Sens, chanteur, compositeur, dont on conserve les traces de l’activité à Saint-Merri de Paris (1418, chapelain), Notre-Dame de Paris (1421, chantre), et bien sûr des musiques liturgiques et deux chansons à trois voix.

Nous ne sommes pas vraiment convaincu par la mise en scène : entrée et sortie en procession sont assez convenues, le lieu, assez moche, laissait d’autres possibilités, notamment par l’exploitation des galeries en mezzanine. Mais il est difficile de théâtraliser un musicien mobilisé par son instrument et ses gestes opératoire (en soi également un spectacle). On aurait pu penser à des projections de documents d’époque, dont les magnifiques peintures illustratives ne manquent pas.

Nous sommes un peu déçu par le choix de dramatiser les parties récitées, ce qui nous semble redondant et demandant un travail d’acteur qui n’est ici pas abouti. La dramaturgie d’ensemble gagnerait, à notre avis, par le contraste entre la furie du monde exprimée en musique, et le calme, le recueillement, la distanciation du chroniqueur au travail dans le scriptorium.

L’ensemble Into The Winds a de beaux jours devant lui, avec ce spectacle musicalement éblouissant, et tant de richesses à exploiter, le Moyen-Âge ne manquant pas de chroniques, de gestes, de mystères. Ce sont les musiques qui risqent de manquer. C’est aussi un son qui pourrait inspirer des compositions contemporaines, voire, qui pourrait aborder avec audace des répertoires inattendus.

plume_07 Jean-Marc Warszawski

29 septembre 2025


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Dimanche 28 Septembre, 2025 22:18