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Théâtre des Champs Élysées, 21 mai 2025 —— Alfred Caron

Le Chevalier à la rose saphique et féministe de Krzysztof Warlikowski

i/chevalier_a_la_rose_1.jpgLe Chevalier à la rose, Théâtre des Champs Élysées, 21 mai 2025. Photographie © Vincent Pontet.

La gigantesque bronca qui a accueilli Krzysztof Warlikowski et son équipe aux saluts de la nouvelle production du Chevalier à la Rose n’est pas une surprise. L’audacieuse vision qu’en propose le metteur en scène ne pouvait que déranger un public parisien toujours aussi enclin à rejeter toute forme de nouveauté. D’entrée de jeu, une vidéo, accompagnant le prélude, donne le ton, avec les images de deux femmes au lit — les interprètes de la Maréchale et de Quinquin, son amant — s’ébattant de façon parfaitement explicite. L’androgynie du personnage d’Octavian-Quinquin et ses multiples travestissements — femme jouant un rôle d’homme qui se déguise en femme — sont au centre de sa démarche. Au final, pendant le dernier duo, Sophie défera le travestissement « masculin » d’Octavian pour faire apparaître une splendide jeune femme blonde et former avec elle un nouveau couple lesbien. La vidéo nous montrera la Maréchale rentrant au bercail (ou dans le rang) où l’attend son mari dans leur grand salon bourgeois. Entretemps, Octavian aura paru dans diverses tenues plus ou moins « genrées ». Mais on note, au quatrième acte, qu’en Mariandel, la femme de chambre que tente de dévergonder le Baron Ochs, il emprunte son allure à Amy Winehouse en qui le metteur en scène avait, en 2008, transformé la Médée de Cherubini. Ni le jeu sur l’ambigüité des genres, ni les allusions au saphisme ne sont gratuits et ne doivent pas être pris comme une provocation. Ils contribuent à faire ressortir de façon incroyablement moderne le féminisme latent du livret de Hofmannstahl où les personnages masculins n’existent que dans le machisme le plus odieux (Ochs) ou dans leur rôle patriarcal, comme Faninal prêt à vendre sa fille pour s’élever socialement.

Le Chevalier à la rose, Théâtre des Champs Élysées, 21 mai 2025. Photographie © Vincent Pontet.Le Chevalier à la rose, Théâtre des Champs Élysées, 21 mai 2025. Photographie © Vincent Pontet.

La transposition nous emmène de la Vienne du xviiie siècle dans ce qui pourrait être le monde du cinéma contemporain. Le décor unique évoque tour à tour un studio de tournage, avec ses tables de maquillage ou une salle de visionnage. Il est envahi par tout un petit monde décadent de fans, de producteurs, d’accessoiristes autour de la Maréchale, devenue une sorte de star hollywoodienne. Les personnages sont croqués avec un sens de l’équivalence parfaitement exact jusque dans les moindres détails. La scène où le chanteur italien (Francesco Demuro) vient tourner un clip avec la Maréchale et faire admirer sa plastique est irrésistible. Les deux intrigants, Valzacchi (Kresimir Spicek) et Annina (Eléonore Pancrazi), lui en preneur de son, elle armée de son téléphone-caméra sont remarquablement réussis. La seconde est incroyable de verve dans son personnage de femme abandonnée, accompagnée de sa tripotée d’enfants dans la scène de l’auberge.

Cette approche, dont les effets comiques n’excluent pas une certaine profondeur, est portée par une distribution de très haut niveau dans laquelle brille singulièrement la Maréchale de Véronique Gens, d’une élégance naturelle et d’une féminité tout à la fois douce et autoritaire, parfaitement incarnée. Lui répond le Ochs balourd et truculent de Peter Rose. Niamh O' Sullivan est un Octavian d’une totale ambigüité, mais sans doute plus mature et affirmé que ne le voudrait le rôle. Regula Mühlemann joue à la perfection les oies blanches au deuxième acte, dans un costume qui la ridiculise à plaisir, ce qui n’explique guère comment Octavian peut tomber immédiatement sous son charme. Parmi les petits rôles si nombreux, on citera le Majordome de François Piolino, le Faninal dépassé de Jean-Sébastien Bou, la moralisatrice Marianne de Laurène Paterno, qui finit par former un couple avec le Léopold de Djeff Titus. Le metteur en scène n’a pas voulu gommer le racisme latent présent dans l’œuvre et a confié les rôles de domestiques à des acteurs noirs, faisant de Mohammed, le « kleine Neger » (le petit nègre) du livret, la femme de confiance de la Maréchale (Danièle Gabou) et distribuant celui d’Hippolyte, son coiffeur, au danseur Sean Patrick Mombruno, qui assure avec grâce quelques très jolis moments de break dance sur la musique des valses straussiennes. Le choeur Unikanti fournit les silhouettes de la pléthorique distribution et la Maîtrise des hauts de Seine s’y ajoute pour les enfants supposés du Baron. Dans la fosse, l’orchestre national de France, se révèle absolument impeccable sous la direction dynamique et inspirée de Henrik Nanasi, offrant à cette production riche remarquablement aboutie le soutien musical de haut niveau qu’elle mérite et qui permettra aux esprits chagrins que la mise en scène pourrait déranger, d’écouter les yeux fermés.

Le Chevalier à la rose, Théâtre des Champs Élysées, 21 mai 2025. Photographie © Vincent Pontet.Le Chevalier à la rose, Théâtre des Champs Élysées, 21 mai 2025. Photographie © Vincent Pontet.

Prochaines représentations les 24, 27 mai et les 2 et 5 juin.

Spectacle enregistré par France Musique et diffusé le 5 juillet à 20 h.

 

plume 6 Alfred Caron
21 mai 2025
© musicologie.org


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