Jean-Marc Warszawski, 10 octobre 2025.
Couleurs du baroque, Bach, Vivaldi, Händel, Bononcini, Alexis Vassiliev (contralto), Philippe Foulon (viole d'amour), Emer Buckley (clavecin), Olivier Dekeister (orgue), Gaëtan Jarry (orgue), florilège d'airs. Continuo Classics 2025 (CCC 777 846).
JPhilippe Foulon et Alexis Vassiliev sont de longue date compagnons de scène. Le premier est violiste et adepte des instruments dits d’amour. Il faut entendre par « amour », « douceur », « mélancolie », « contemplation ». Prisés aux xviie et xviiie siècles, les instruments à cordes dits d’amour étaient équipés de cordes supplémentaires qui n’étaient pas jouées, mais qui résonnaient en sympathie avec celles qui l’étaient. Les vents d’« amour » étaient accordés plus bas.
Le second est contralto, une voix, dit-on, qui se rapproche de celles des castrats, bien qu’on n’en ait jamais entendu. Les premiers apparaissent au xvie siècle à l’église (sur le modèle des eunuques ottomans et de leurs chants ?), mais ils furent, parmi les rares qui se firent un nom sur les scènes d’opéra, des vedettes choyées et parfois capricieuses aux xviie et xviiie siècles, époque où on ne fut pas assez malin pour inventer l’enregistrement sonore. Jamais entendu, mais on sait ce que cela est. L’ablation des testicules (parfois de la verge pour le même prix), pratiquée à l’âge de sept à douze ans, provoquait l’arrêt du développement de la voix, mais pas celui du corps. Au résultat on obtenait une voix d’enfant avec un « coffre », une projection d’homme. C’est bien l’effet que provoque la voix étonnante d’Alexis Vassiliev, enfantine, mais aussi androgyne, avec une énorme projection, bien différente de la voix de tête des hautes-contre.
Il présentait, le 24 septembre dernier, à la mairie du xve arrondissement de Paris, son nouvel enregistrement « Couleurs du baroque », un florilège d’arias de Georg Friedrich Händel, Antonio Vivaldi, Johann Sebastian Bach, Giovanni Maria Bononcini, accompagné, selon les cas, par Philippe Foulon (aussi en soliste), les organistes Olivier Dekeister et Gaätan Jarry et la claveciniste Emer Buckley.
Mais le programme de ce concert était tout autre : des airs extraits de l’oratorio Juditha triumphans de Vivaldi, en compagnie de Philippe Foulon (viole d’amour) à la tête d’un ensemble composé de Maria Lucia Barros (clavecin), Florentino Calvo (mandoline), Agnès Lamacque (violon d’amour), Jean-Christophe Foulon (alto, violon), Jean-Christophe Lamacque (violon d’amour, viole d’amour), Gilles Thomé (chalemie).
Juditha triumphans, le seul oratorio connu des quatre composés par Vivaldi, dont on a retrouvé la partition au début du xxe siècle, lui fut commandé par la République de Venise pour commémorer la victoire des armées vénitiennes sur les Turcs au second siège de Corfou en juillet et août 1716. Cette œuvre fut créée à l’Ospedale della Pietà, institution recueillant des jeunes femmes en difficulté (mais aussi de bonne famille qui payaient le séjour), où en plus des ouvrages féminins, elles étaient formées à la musique à un très haut niveau atteignant une renommée au-delà e Venise et de l’Italie. Vivaldi en a été le maître de musique et le compositeur.
C’est une œuvre de victoire, flamboyante, avec chœur et un orchestre conséquent en bois, cuivres et timbales, des théorbes, six violes dont une d’amour. Là est le premier contre-emploi de ce concert assez intimiste, chambriste, et au bout du compte, musicalement assez morne, malgré la qualité des instrumentistes. Présenté comme une gageure, Vassiliev a interprété tous les rôles (il y en a cinq), ce qui en a rajouté au sentiment un peu maussade et lassant. De plus, même si l’oratorio comporte des personnages masculins (dont un eunuque), les rôles sont tous écrits pour des voix féminines, sopranos et mezzo-sopranos.
Le disque est beaucoup plus flatteur, l’enregistrement est composé de repiquages d’enregistrements passés. Alexis Vassiliev est très friand de l’italianisme très orné aux vocalises acrobatiques. Il y réussit fort bien, comme dans le magnifique « Rompo i lacci » extrait de Flavio d’Händel, ou toujours de Händel, « Furibondo » extrait de l’opéra Partenope. Mais nous le trouvons au meilleur dans les pièces moins ornées, tels les lamentos ou les airs plus introspectifs, beaux et touchants : « Tormento Fiero » (Bononcini), magnifique « Pena Tirana » (Händel)…
Il est curieux qu’Alexis Vassiliev n’aborde pas le répertoire liturgique, oratorios, cantates, dans lequel il serait brillantissime. C’est l’église qui a employé des castrats dès le xvie siècle, jusqu’à la fin du xviiie siècle, même si la mode en était passée (et la critique de cette pratique montante). Elle en a été le vivier, pour conserver la voix d’ange des enfants devenus adultes dans les grandes chapelles ecclésiastiques.
10 octobre 2025
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Vendredi 10 Octobre, 2025 18:34