Alfred Caron — Paris, Opéra Comique, 6 novembre 2025
L’Iphigénie en Tauride expressionniste de Wajdi Mouawad et Louis Langrée
Iphigénie en Tauride, Opéra-Comique de Paris. Photographie © S. Brion.
Commençons par ce qui fâche (ou à tout le moins, agace un peu) : ce prélude théâtral que le metteur en scène a cru bon d’intercaler entre l’ouverture et la première scène, où il transpose le mythe d’Iphigénie et l’histoire de la récupération par Oreste et Pylade de la statue volée de Diane dans un musée de la Crimée actuelle sous le joug russe. Passons ! Outre qu’il n’est que d’une pertinence limitée, ce prologue a l’inconvénient de briser l’unité de l’œuvre et l’on devine que si la cérémonie funèbre qui clôt le premier acte a été écourtée de sa partie chorale, c’est parce que le temps qui aurait dû lui revenir, a été utilisé par cette relecture tendancieuse.
Par la suite, la mise en scène retourne à une vision au premier degré dans un décor unique plongé dans les ténèbres avec des costumes éclectiques qui ne définissent aucun temps particulier et mélangent Grèce et Moyen-Orient. Dès la première scène, le metteur en scène nous plonge dans un terrible climat de violence avec une Iphigénie qui sacrifie à la chaine, dans une répétition fastidieuse, la même victime. Le bloc en miroir qui occupe le centre du plateau se remplit de sang et, jusqu’à la fin de la première partie, une certaine hystérie règne sur le plateau.
Si cette tension perpétuelle se défend pour les angoisses de Thoas, ou la crise de folie d’Oreste qui, on ne sait pourquoi, se dénude lorsqu’il est assailli par les Euménides, elle donne à l’ensemble une tonalité uniformément expressionniste qui envahit également l’interprétation vocale. C’est particulièrement frappant dans le cas du rôle-titre dont l’émission est en permanence portée à une véhémence qui dénature le personnage auquel on aimerait parfois trouver un peu plus d’intériorité et de noblesse dans le contexte de ce qui est une tragédie et non un drame. Cette tendance est d’autant plus regrettable que Tamara Bounazou se révèle particulièrement bien armée pour affronter ce rôle mythique dont elle possède l’exacte tessiture, malgré quelques graves poitrinés, y ajoutant une articulation parfaite et une capacité au lyrisme que hélas elle ne peut faire entendre qu’à de rares moments, comme dans la scène de la reconnaissance d’Oreste où elle se révèle très émouvante. On peut imaginer une voix plus large que celle de Theo Hoffmann pour Oreste et l’on ne peut s’empêcher de penser que la scène lyrique française ne manque pas actuellement d’excellents barytons qui auraient pu l’incarner. Mais il faut reconnaître que le chanteur américain, à quelques voyelles près, maîtrise bien notre langue et que son engagement compense largement un timbre assez ordinaire. Philippe Talbot manque un peu d’étoffe pour Pylade et n’est pas non plus la haute-contre de la tradition baroque, mais il assume bien son personnage et ses duos avec Oreste sont sûrement les moments les plus touchants de la soirée. L’imposant Thoas de Jean-François Setti pourrait être un peu plus nuancé, mais, après tout, étant le directeur du musée voyou ou le tyran sanguinaire, peut justifier qu’il soit un peu brut de décoffrage. Deux excellents coryphées et une bizarre Diane transformée en poupée mécanique complètent cette distribution plutôt cohérente. Une mention également pour l’excellent Lysandre Châlon à la basse ferme et bien timbrée dans le double rôle d’un Scythe et d’un ministre du Sanctuaire.
Iphigénie en Tauride, Opéra-Comique de Paris. Photographie © S. Brion.
Le chœur Les Éléments est comme toujours au-dessus de tout éloge, singulièrement du côté féminin où il constitue un personnage à part entière. Mais c’est dans la fosse qu’il faut aller chercher la grande réussite de cette production. À la tête de l’ensemble Le Consort sur instruments d’époque, aux coloris instrumentaux raffinés, Louis Langrée dirige une version d’une extraordinaire puissance dramatique dont la tension ne faiblit jamais et qui est un des éléments majeurs de la réussite globale d’un spectacle dont les principes ne sont pourtant pas en accord avec les codes originaux de l’œuvre, et auquel le public réserve un triomphe sans partage.
Prochaines représentations les 8, 10 et 12 novembre
Spectacle coproduit par le Théâtre de la Ville de Luxembourg et Le Capitole de Toulouse .


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ISSN 2269-9910.

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