Alfred Caron — Gand, Opera Ballet Vlaanderen, 14 décembre 2025.
L’échelle du Commandeur : Don Giovanni vu par Tom Goosens
Don-Giovanni, Opera Ballet Vlaanderen. Photographie © Annemie-Augustijns-OBV.
Le Don Giovanni de Tom Goossens commence comme il finira — par les saluts. Est-ce une façon de dire qu’avant que ne commence la représentation, chacun sait comment elle s’achèvera ou que l’histoire se reproduit en boucle ? Solistes et chœur bien alignés les miment sur fond de l’ouverture. Simplement, ils sont en sous-vêtements et ce n’est qu’au fil de l’action qu’ils se vêtiront pour être identifiés. Le parti-pris se passe de décor. Sur le plateau nu, un simple praticable où défileront pendant toute la représentation les choristes devenus figurants, illustrant de façon discrète l’action principale ; en fond de scène, un ciel noir où s’accumulent de menaçants nuages et, en guise d’accessoire, une interminable échelle qui relie les dessous aux cintres (l’Enfer au Ciel ?) et que montera et descendra le fantôme du Commandeur après son assassinat tout au long de l’opéra. Tout est dans la direction d’acteurs et elle est au cordeau. Quelques gags, telles ces poules marchant au pas pendant l’air du catalogue, suscitent de temps en temps un éclat de rire dans une vision plutôt sombre et dramatique. Don Giovanni assassine le Commandeur à mains nues ; il s’attaque érotiquement à Leporello dans la scène de séduction de Donna Anna ; ce dernier déroule un long tapis qui s’avère être le fameux catalogue et une flamme sort de la fosse où le Commandeur entraîne Don Giovanni au final.
Dans le rôle-titre, Wolfgang Stefan Schwaiger paraît inégal d’une scène à l’autre. S’il prend de l’assurance au fil de soirée, son baryton clair manque de corps pour s’imposer tout à fait et son charisme limité ne lui permet pas de faire sentir la fascination que son personnage est censé exercer. Il paraît d’autant plus léger que le Leporello richement timbré de Michael Mofidian et sa faconde font parfois penser que le rôle-titre lui irait comme un gant dans un registre plus sombre. Justin Hoskins, possède une basse imposante et une belle allure, mais souffre d’une articulation un rien pâteuse. Toutefois son Masetto même travesti en mariée au deuxième tableau s’impose. Du côté féminin, l’Anna très engagée de Marie Lys impressionne dans « Or sai chi l’onore » et touche à l’idéal dans « Non mi dir ». La Donna Elvira d’Arianna Vendittelli possède toute la véhémence de son personnage de femme abandonnée et vindicative et la Zerlina de Katharina Ruckgaber, pleine de malice et de charme est superlative dans ses deux airs. Quant à Reinoud van Mechelen, il s’affirme comme un Don Ottavio, vaillant et remarquablement stylé, faisant oublier la mièvrerie qu’on associe souvent à son personnage. Enfin la basse Edwin Kaye donne tout le poids voulu aux apparitions du Commandeur et de sa statue. La réussite d’ensemble doit beaucoup à la direction de Francesco Corti, qui exalte la richesse et l’expressivité de l’orchestration de Mozart et offre une lecture tendue et dramatique de la partition, donnée dans un mixte de la version originale de Prague avec des éléments de la reprise viennoise de 1788, récupérant le rare petit duo entre Masetto et Zerlina, « Per queste tue manine », où celle-ci menace à mots couverts de le châtrer pour le punir de ses méfaits, ce qui ajoute une touche de féminisme militant à un opéra où les femmes sont singulièrement malmenées. Il renforce également l’impact dramatique et la cohérence du deuxième acte en rétablissant le récitatif où Masetto évoque une tentative de viol de Don Giovanni, offrant ainsi une introduction parfaite au grand air d’Elvira « In quali eccessi », et évitant surtout son enchaînement immédiat avec celui de Donna Anna. Des récitatifs remarquablement préparés, assurés par le chef lui-même au pianoforte, renforcé par le clavecin, un violoncelle et une contrebasse, une mandoline sur la scène pour la sérénade de Don Giovanni, de nombreuses variations dans les reprises et des cadences originales, tout cela rapproche l’interprétation de l’univers baroque dont vient le chef, mais sans jamais forcer la nature première de l’orchestre symphonique de l’Opéra Ballet Vlaanderen. Au final, ce Don Giovanni sans lourdeur et plein de trouvailles comble l’attente en laissant le sens de l’œuvre parfaitement ouvert.
Représentations à Gand du 17 au 31 décembre puis à Anvers du 8 au 20 janvier avec deux distributions en alternance


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ISSN 2269-9910.

Jeudi 18 Décembre, 2025 14:04