Gand, Opéra Ballet des Flandres, 10 mai 2025 —— Alfred Caron
Intolleranza 1960, Opera Ballet Vlaanderen. Photographie © OBV.
Intelloranza 1960, premier opéra de Luigi Nono, se veut une œuvre politique et même militante. Elle s’inscrit pleinement dans le contexte de son époque : la Guerre d’Algérie et la torture, les manifestations et la répression policière, les camps de concentration, la montée du néofascisme et la grande inondation du Pô au détour des années cinquante, avec le risque de paraître quelque peu datée, à la fois trop proche et trop loin de notre monde. Car même si sa thématique reste d’une prégnante actualité, les problèmes qu’elle soulève ne se règlent plus aujourd’hui comme alors dans notre société globalisée et dominée par les impératifs économiques. Par contraste, par exemple, Les Soldats de Zimmermann, opéra exactement contemporain, sur une donnée située au xviiie siècle, ont gardé une « actualité » qui est due paradoxalement à l’atemporalité de l’action. C’est sans doute pour éviter l’impression d’une démarche historiquement datée que Peter von Benedikt a voulu transformer l’azione scenica de Angelo Maria Ripellino en une sorte de happening impliquant le public. Sa mise en scène enferme interprètes et spectateurs, dans l’espace de la scène derrière le rideau de fer baissé dans une promiscuité où les seconds, guidés par les premiers, deviennent sinon acteurs au moins figurants d’un spectacle où, sous le chaos apparent des incessants mouvements de scène, se cache une structuration rigoureuse. L’orchestre, relégué dans la fosse sous des grilles, ne transparaît que dans les moments où une certaine hystérie du plateau en perpétuelle effervescence se calme, de même que les sublimes polyphonies caractéristiques du style du compositeur qui s’élèvent alors comme une respiration où soufflerait l’espérance de l’humanité en un univers enfin pacifié. Le metteur en scène a choisi de commencer l’œuvre là où elle finit, sur l’évocation d’une gigantesque inondation proche du déluge que concrétise une impressionnante cataracte d’eau en fond de scène, censée menacer d’engloutir le plateau, évocatrice de cette montée implacable des eaux qui est sans doute le danger immédiat le plus susceptible de parler à un public sûrement moins concerné par le sort des migrants ou la répression policière. Le dernier chœur, sur un texte de Bertolt Brecht (parodie de la Ballade des Pendus de Villon), appelle à l’indulgence des générations futures pour les victimes de ce monde et de sa barbarie.
Intolleranza 1960, Opera Ballet Vlaanderen. Photographie © OBV.
Les scènes intimes ou d’action sont pour la plupart des affrontements et le cri, la fureur et les tessitures tendues à l’extrême comme celle par exemple de l’Émigrant, personnage central dont les tribulations relient les huit épisodes, mettent à rude épreuve le tympan de l’auditeur. D’où l’idée de distribuer des bouchons d’oreille à l’entrée, ce qui parait en totale contradiction avec la démarche même du spectacle qui se veut impliquant et dont on se demande, au-delà de l’effet immédiat, s’il peut avoir une quelconque influence sur la conscience du spectateur, par définition déjà « conquis ».
Grand et petit chœur, solistes et orchestre se montrent tous à la hauteur d’une partition extrêmement exigeante qui pâtit quelque peu de ce dispositif audacieux, mais assez envahissant. Une représentation traditionnelle aurait sans doute permis d’apprécier mieux la richesse musicale de l’œuvre sinon la pertinence de son sujet. Dans un plateau de très haut niveau, on citera l’Émigrant du ténor Peter Tantsits que l’écriture de son rôle emmène dans des hauteurs dignes d’un contre-ténor, sa compagne, la puissante soprano Lisa Mostin, l’Algérien du baryton Tobias Lusser et la basse chaleureuse de Werner van Mechelen dans le rôle de L’Homme torturé. Le chœur de l’Opera Ballet des Flandres est également un des grands triomphateurs de la soirée et à sa façon un véritable protagoniste en tant qu’ensemble et à travers ses multiples individualités, actives tout au long de l’œuvre. Dans la fosse, le chef Stefan Klingele dont les mouvements peuvent être suivis sur les moniteurs placés aux quatre coins du plateau, dirige tout en souplesse cette œuvre venue d’un autre temps où l’on croyait dénonciation et revendication possibles et efficaces et où l’art pouvait encore prétendre changer le monde.
Prochaines représentations les 13, 15, 16 et 18 mai.
Alfred Caron
10 mai 2025
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Mercredi 14 Mai, 2025 20:51