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Château de Versailles, Salon des batailles, 27 mai 2025 —— Alfred Caron

Erdelinde, princesse de Norvège : les prémisses de la tragédie réformée

Philidor, Ernelinde princesse de Norvège, Van Mechelen, Van Wanroij, Dolié, Lecroart, Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, Orkester Nord, sous la direction de Martin Wahlberg. « Opéras français » (30), Château de Versailles 20204 (CV 5161).

Philidor, Ernelinde princesse de Norvège, Van Mechelen, Van Wanroij, Dolié, Lecroart, Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles, Orkester Nord, sous la direction de Martin Wahlberg. « Opéras français » (30), Château de Versailles 20204 (CV 5161).

Enregistré du 24 au 27 juin 2024.

On ne saurait imaginer décor plus adéquat que celui du Salon des Croisades et de ses fresques de batailles, pour cette version de concert d’Erdelinde, princesse de Norvège de Philidor dont l’action baigne d’un bout à l’autre dans un climat de guerre. Le livret de Poinsinet met en scène quatre personnages pris dans un conflit dont Erdelinde, fille du roi Rodoald est quelque peu l’enjeu, autant que le pouvoir sur la Norvège. Convoitée par deux ennemis de son père, Sandomir et Ricimer, son cœur a choisi le premier. Celui-ci deviendra très vite un allié contre les menées du second, qui est évidemment le méchant de l’affaire.

Mais ce n’est pas tant son sujet qui fait le premier intérêt de cette tragédie en musique, créée en 1767 et donnée ici dans sa version révisée de 1769, que son traitement musical. En effet, dans les formes employées apparaissent les signes de la mutation qui va conduire à cette réforme de l’opéra français, attribuée à Gluck, qui trouve sa source dans le langage de l’opéra-comique dont Philidor fut un des « créateurs ». Ramenée à trois actes (contre les cinq de la version originale) et évidemment sans prologue, l’œuvre offre d’étonnants ensembles, tel ce duo qui conclut le premier acte ou le quatuor à la fin du second. Dès l’ouverture, l’influence de Gluck est patente et l’on y entend des échos d’Orfeo e Euridice et le grand air d’Ernelinde au deuxième acte semble une parodie de celui de l’Alceste de Gluck, « Divinités du Styx », exactement contemporain. Toute trace des codes de la tragédie lyrique n’a pas disparu. Le récitatif reste typique dans ses modes déclamatoires avec les mêmes ornements. Les actes se terminent toujours par des divertissements qui, au contraire des ballets de Gluck, ne sont guère intégrés à l’action dramatique, mais l’orchestration fait la part belle aux vents et le traitement vocal est beaucoup plus calqué sur le rythme et la mélodie. L’utilisation du chœur comme protagoniste et une certaine « violence » de l’inspiration créent une rupture certaine avec l’âge baroque et nous entrainent vers une sorte d’expressionnisme, caractéristique de la volonté de naturel propre à la fin du xviiie siècle. Si l’œuvre est un peu inégale, avec quelques longueurs et un dénouement assez laborieux auquel le compositeur a cru devoir ajouter un air virtuose pour le ténor, elle ne manque pas d’originalité, dans son caractère mixte.

À l’exception de Laurent Naouri remplaçant Thomas Dollié en Rodoald, et qui, de fait, parait peu à l’aise, mais compense quelques décalages et incertitudes tonales par de beaux graves très sonores, la distribution du concert est celle de l’enregistrement paru en avril dernier sous le label Versailles Spectacles. Dans le rôle-titre, Judith Van Wanroj paraît un peu inégale avec un timbre légèrement pincé qui vieillit le personnage, mais elle donne le meilleur dans sa caractérisation des aspects lyriques de son personnage. Reinoud Van Mechelen se révèle brillant dans la tessiture de Sandomir, qui commence à tendre vers le ténor héroïque plus que vers la haute-contre. Enfin Matthieu Lécroart, en Ricimer, avec une articulation impeccable et une projection sans faille, se taille la part du lion dans le deuxième acte où il caractérise son personnage de tyranneau pervers avec gourmandise. Une mention pour le subtil coryphée de Jehanne Amzal et pour le chœur réunissant Vox Nidrosiensis associé aux Chantres du Centre de musique baroque de Versailles (coproducteur de ce concert). L’Orkester Nord (phalange norvégienne sur instruments d’époque) sous la direction de son chef Martin Wählberg, donne un relief singulier à l’orchestration nourrie de Philidor et porte au succès cette résurrection d’un titre qui constitue un véritable chaînon manquant dans l’histoire de l’opéra français.

plume 6 Alfred Caron
27 mai 2025
© musicologie.org


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