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Alfred Caron — Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 3 novembre 2025

« Épisodes de la vie d’un artiste » : La Damnation de Faust vue par Silvia Costa

Épisodes de la vie d’un artiste, Théâtre des Champs-Élysées, 3 novembre 2025. Photographie © Vincetn Pontet.Épisodes de la vie d’un artiste, Théâtre des Champs-Élysées, 3 novembre 2025. Photographie © Vincetn Pontet.

Berlioz lui-même ne voyait pas La Damnation de Faust comme un opéra et lui donna du reste le sous-titre de « légende dramatique », la destinant au concert. Le livret n’offre pas de continuité et les scènes qui le composent jouent d’ellipses pour faire avancer l’action. Silvia Costa l’a bien compris et sa mise en scène minimale s’ancre sur une approche dramaturgique où l’on croit percevoir une sorte de vision « autobiographique » du compositeur, en quelque sorte « les épisodes de la vie d’un artiste ». Son Faust est en effet un homme jeune, presque un adolescent, un créateur impuissant qu’elle présente d’entrée de jeu dans l’univers régressif d’une chambre en désordre dont le lit restera l’élément central de la scénographie. Elle fait de Marguerite, dans le tableau final, l’image d’une mère attentive et chérie que sauve son enfant et l’on croit voir le souvenir d’Harriet Smithson, la femme adorée et le mariage raté du compositeur, dans la somnambule du duo d’amour. On se demande en revanche qui est ce Méphisto, en béret et blouson d’aviateur, entre sergent recruteur et milicien brutal, qui n’a rien de bien satanique. Serait-ce une image paternelle, une sorte de Surmoi ? Si le fil conducteur de la première partie est ce studio où Marguerite, déguisée en petite ménagère, plonge la tête la première dans le four de la cuisinière, pour les dernières scènes, la scénographie se transforme en tribunal, orchestre et chœurs sur la scène, tous vêtus de robes d’audience à cravate blanche, y compris le chef. Il s’agit bien sûr d’un clin d’œil à la version de concert et également de jugement de Marguerite parricide et de Faust, coupable de l’avoir détournée. Pendant la course à l’abîme, Méphisto l’a précipité dans la fosse d’orchestre vide où il se bat contre ses fantômes, armé de deux pupitres. Une image évidente du compositeur et un clin d’œil à la création catastrophique de l’œuvre qui ruina le musicien. Un tel déploiement n’était peut-être pas utile et tient un peu du gadget, surtout après la relative économie des trois premières parties.

Épisodes de la vie d’un artiste, Théâtre des Champs-Élysées, 3 novembre 2025. Photographie © Vincetn Pontet.Épisodes de la vie d’un artiste, Théâtre des Champs-Élysées, 3 novembre 2025. Photographie © Vincetn Pontet.

Passé un premier tableau où on le sent assez tendu, Benjamin Bernheim porte à lui seul l’exigeante mise en scène et s’investit avec beaucoup de conviction dans son personnage tourmenté. La vaillance avec laquelle il affronte l’impossible tessiture de Faust, impressionne, mais il est évident qu’il doit forcer sa nature pour dompter, avec une émission tout en force, les écarts de registre et les suraigus de « Nature immense », mais il atteint dans l’élégie de « Merci, doux crépuscule », à des sommets de raffinement et de beauté sonore. Belle voix tendant au soprano, à laquelle ne manquent que quelques consonnes pour nous combler tout à fait, Victoria Karkacheva compose une Marguerite bien chantante et d’une grande élégance scénique. La basse un peu épaisse de Christian Van Horn est affaire de goût. On aimerait un baryton plus subtil pour le lyrisme de « Voici des roses » et surtout une prononciation française un peu moins exotique chez un chanteur de son niveau, bien limité de surcroit en matière de caractérisation. Thomas Dollié offre à Brander son baryton large et sombre, et les chœurs de Radio France, la plupart du temps invisibles, sont évidemment de tout premier plan. Ils sont incarnés dans le Menuet des Follets par les enfants de la Maîtrise, déguisés en petits vieux, une idée qu’avait exploitée en son temps, à l’Opéra Bastille, Luca Ronconi. L’orchestre Les Siècles, à quelques scories près chez les vents, se montre intéressant, mais il n’offre pas toujours au chef Jakob Lehmann toutes les ressources pour porter à son maximum la riche partition de Berlioz, entre urgence dramatique et lyrisme éthéré et l’ensemble peine un peu à prendre feu.

Si l’équipe musicale est accueillie avec enthousiasme par une salle comble, c’est sans surprise une pluie dense de huées qui s’abat sur la metteuse en scène et son équipe, à leur apparition au final, montrant pour ne pas changer que toute expérience est un soufflet pour le public parisien.

Prochaines représentations les 6, 12 et 15 novembre.

plume 6
Alfred Caron
23 septembre 2025
© musicologie.org.

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ISSN 2269-9910.

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