17 septembre 2025 —— Alfred Caron
L'ensemble Ghisleri, Ambronay, 12 septembre 2025.
Scarlatti, compositeur labyrinthique et méconnu : Vespro, Messa et Te Deum.
Le premier week-end du 46e festival d’Ambronay s’ouvrait avec un concert entièrement consacré à Alessandro Scarlatti (1660-1725), un compositeur rare sur les scènes françaises et dont l’importance dans l’histoire de la musique est sans doute un peu sous-évaluée. L’ensemble Ghisleri, un habitué du festival, donnait en effet sous la direction de son chef et fondateur Giulio Prandi, l’extraordinaire Messe de sainte Cécile de 1720, précédée de trois extraits des Vêpres dédiées à la même sainte et suivi d’un Te Deum en première mondiale, vraisemblablement de la même période, récemment redécouvert par le musicologue Luca Della Libera.
À mi-chemin entre les codes du premier baroque et les innovations des premières décennies du XVIIIe siècle, son œuvre surprend par la façon dont elle entremêle les styles, superposant le chœur à cinq voix, divisé en « favorito » et « ripieno », et les voix solistes (deux sopranos, alto, ténor et basse) et utilisant l’ensemble instrumental comme un contrepoint au chant dans un style tout à fait concertant. Chez Scarlatti, peu ou pas de développement : sa conduite de la continuité musicale se révèle souvent labyrinthique, n’admet pratiquement jamais le da capo, ose des modulations et des ruptures inattendues et multiplie les ornements comme un élément purement formel.
Parmi les solistes de ce concert, se distingue particulièrement l’alto de Margherita Maria Sala au timbre très personnel. Le premier soprano, Maria Grazia Schiavo, manque un peu d’ampleur et de projection pour soutenir la concurrence avec un orchestre nourri et le chœur d’une ampleur et d’une homogénéité exceptionnelles. La basse d’Alessandro Ravasio, en revanche, richement timbrée apporte toute l’autorité voulue à l’affirmation de la foi dans le Credo de la messe, entouré du halo des voix féminines du chœur. La richesse de la partition de Scarlatti tient presque du kaléidoscope tant elle se révèle variée et inattendue d’un mouvement à l’autre. Giulio Prandi la dirige avec l’énergie communicative et la précision qui le caractérisent, galvanisant ses troupes dans le triomphal Te Deum qui conclut son programme et se taillant un beau succès auprès d’un public aussi surpris que conquis par une authentique découverte.
À sa façon, ce concert célébrait le tricentenaire de la mort du compositeur, augurant peut-être d’un regain d’intérêt pour sa musique, notamment sacrée, au fond assez mal connue et souvent réduite à quelques opéras et oratorios et à ses nombreuses cantates.
Scarlatti intime et mystique : Stabat Mater par La Palatine
Rémy Brès-Feuillet, Marie Théoleyre et l'ensemble La Palatinen, Ambronay, 13 septembre 2025.
Après ce Scarlatti brillant et glorieux, c’est le versant intime et proprement mystique de l’inspiration du compositeur que nous offrait le lendemain l’ensemble La Palatine, avec la résurrection de son Stabat Mater, également de la dernière période de sa carrière. Ce Stabat est celui-là même que devait remplacer au répertoire une douzaine d’années plus tard la si célèbre version de Pergolèse. On y retrouve le même effectif : deux voix, soprano et alto, et un ensemble d’instruments à cordes, deux violons, violoncelle, contrebasse et théorbe avec le clavecin assurant le continuo, ici tenu, de même que la direction d’ensemble, par Guillaume Haldenwang. Le découpage en séquences est à peu près le même que celui de Pergolèse qui, du reste, semble avoir « emprunté » à son aîné quelques-unes de ses plus belles idées. Quatre magnifiques duos réunissent les deux voix dans des moments d’une grande profondeur expressive, mais le compositeur fait par exemple démarrer sur une note lumineuse le « Pro peccatis » par la soprano et la fait rejoindre sur un mode très tourmenté par l’alto dans « Vidit suum dulcem natum » où la tonalité s’assombrit brusquement.
Pour cette interprétation mémorable, La Palatine a eu l’idée de convoquer en ouverture quelques pièces instrumentales et vocales du compositeur afin de créer le climat propice à faire éclore cette magnifique méditation sur les douleurs de la Vierge au pied de la Croix.
Les voix de Marie Théoleyre et de Rémy Brès-Feuillet s’unissent avec une totale évidence. Le timbre captivant au médium chaleureux du contre-ténor répond à merveille à celui plus clair, mais charnu de la soprano. Tous deux se révèlent d’une grande expressivité, avec un supplément de présence chez le contre-ténor dont l’articulation est particulièrement efficiente dans ses deux grands passages en récitatif qui précèdent l’inflammatus et le Quando corpus morietur, lent et grave, qui les réunit de nouveau.
En guise de bis, l’ensemble donnait évidemment le premier mouvement du Stabat de Pergolèse, suscitant l’envie d’entendre ce magnifique duo dans cet autre chef-d’œuvre. Découverte pour une grande partie du public dont nous faisions partie, la pièce est sans doute la plus inspirée de celles entendues pendant ce weekend où, pourtant, figuraient de nombreuses pièces de choix, dont l’un des Himalaya de la musique occidentale, la Messe en si de Johann Sebastian Bach. On espère vivement qu’un label discographique aura l’idée de fixer cette interprétation inoubliable d’une œuvre si originale et peu servie par le disque.
Bach monumental et testamentaire : Messe en si par Vox Luminis et le Freiburger Barockorchester.
L'ensemble Vox Luminis à Ambronay, 13 septembre 2025.
Monument de l’histoire de la musique, et souvent vue comme l’œuvre testamentaire de Johann Sebastian Bach, la Messe en si peut paraître écrasante pour les interprètes qui s’y confrontent. Lionel Meunier a décidé de l’aborder sur un versant plus « familier », notamment en confiant les parties solistes aux membres de son ensemble Vox Luminis. Cette option, pour une œuvre aussi exigeante s’avère hélas ! parfois problématique. Elle crée un certain déséquilibre entre la splendeur des parties chorales, les tonitruants tutti avec orchestre et certains numéros où les solistes ne possèdent pas tous une personnalité vocale suffisante ou une technique assez accomplie pour leur donner tout le relief souhaitable. On exceptera quelques moments de grâce, tel le célèbre « Agnus Dei » où le contre-ténor Wilson Shelton dépasse les limites qu’exposait son duo avec la soprano dans le « Credo ». Mais que dire du « Quoniam laborieux » où la basse Felix Schwandtke peine à homogénéiser les registres de sa voix puissante et où les errances du cor naturel qui l’accompagne paraissent concourir à déconstruire toute possibilité musicale ? Certes à cet accroc près, le Freiburger Barockorchester conquiert par la perfection de son exécution avec des vents exceptionnels, notamment la flûte solo de Daniela Lieb d’une grâce absolue, de splendides hautbois particulièrement affutés et des cordes précises et transparentes. Le chœur lui-même en petit effectif (trois par partie) est d’une totale perfection et d’une homogénéité parfaite avec des voix de sopranos d’une clarté vraiment céleste et un ensemble de voix graves splendide mené par celle du chef lui-même dont on peut apercevoir en fond de scène la haute silhouette et les expressions inspirées.
Au cours des presque deux heures de la longue messe, on oscille en permanence entre éblouissement et déception, et l’ensemble laisse curieusement une impression assez extérieure, apparaissant bien souvent comme une mosaïque aux couleurs et aux intensités inégales. Le public de l’abbatiale, moins difficile que nous apparemment, fait toutefois un succès sans réserve à ce curieux concert dont le chef se fait nommer « directeur artistique » et qu’il ne dirige d’évidence qu’en esprit, laissant le soin de la cohérence d’ensemble au Konzertmeister Peter Barczi.
Alfred Caron
17 septembre 2025
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Mercredi 17 Septembre, 2025 21:39