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Opéra Bastille, 28 février 2025 —— Alfred Caron

Entre réalisme et symbolisme : Pelléas et Mélisande vu par Wajdi Mouawad

Opéra Bastile, saison 2024-2025, Pelléas et Mélisande. Photographie © Benppoîte Fanton / OnP.Opéra Bastile, saison 2024-2025, Pelléas et Mélisande, Sabine Devieilhe, Huw Montague Rendall. Photographie © Benppoîte Fanton / Opéra nationaol de Paris.

La traditionnelle bronca qui accueille désormais toute nouvelle production à l’Opéra de Paris aura été épargnée au Pelléas et Melisande de Wajdi Mouawad. Sa mise en scène pourtant n’est qu’à moitié convaincante. Elle hésite longtemps entre réalisme et symbolisme. En arrière-plan d’un décor construit bien encombrant — une sorte de bassin à l’avant-scène aux fonctions multiples qui rend problématiques les déplacements — les projections vidéo de Stéphanie Jasmin semblent la version moderne des toiles peintes du dix-neuvième siècle, illustrant de façon littérale les didascalies du texte théâtral. Il faut attendre la scène de la Tour pour que le patron du Théâtre de la Colline se libère enfin de la volonté de « représenter » et passe dans le registre nettement plus adapté de la suggestion qui est celui de la poétique de Maeterlinck, admirablement servi par l’orchestre de Debussy qui suffit à lui seul, à créer le décor et le climat de chaque scène et se faire l’interprète du non-dit des personnages.et le véritable narrateur.

La toile de fond que traversent les personnages devient alors un simple reflet, une prolongation poétique de ce que le texte suggère, à commencer par la chevelure de Mélisande en expansion, comme une image de son désir inconscient, si longtemps retenu, répondant au monologue exalté de Pelléas. Il invente alors pour elle une gestuelle qui échappe à toute réalité et que l’on retrouvera dans sa scène de mort. Tout n’est pas vraiment lisible dans cette vision. L’accumulation des massacres dans la fosse à l’avant-scène évoque-t-elle la montée en puissance de la violence contenue de Golaud, le chasseur ? L’étrange rituel de l’habillement des deux protagonistes morts au final nous parle-t-il d’une transfiguration ou d’une métamorphose ?

Opéra Bastile, saison 2024-2025, Pelléas et Mélisande. Photographie © Benppoîte Fanton / OnP.Opéra Bastile, saison 2024-2025, Pelléas et Mélisande. Photographie © Benppoîte Fanton / Opéra national de Paris.

À côté d’une extrême sophistication, la direction d’acteurs paraît souvent négligée, avec des sorties de scène d’une totale trivialité. Le metteur en scène a également inventé des doubles au personnage de la pièce que la pénombre ambiante ne permet guère d’identifier et dont l’apparition se s’explique jamais vraiment. Comme on pouvait l’attendre, Sabine Devieilhe est une Mélisande d’une grande délicatesse, parfois un peu légère pour le grand vaisseau de Bastille, mais remarquable de clarté et de précision, et d’une expressivité de tous les instants, lorsque la mise en scène l’y aide. Lui répond le Pelléas parfois insuffisamment intériorisé à notre goût de Huw Montague Rendall mais parfaitement maître de la complexe tessiture de son rôle. Jean Teitgen possède la noblesse voulue pour son personnage de vieillard à la sagesse plus que douteuse et Sophie Koch rend pleinement justice au rôle si court de Geneviève avec des graves très appuyés. Si la voix d’enfant donne crédibilité à Yniold, on pourrait rappeler tout de même que Debussy lui-même renoncé y avait à la création et lui avait préféré une voix d’adulte par souci d’équilibre. Mais le véritable maillon faible de cette distribution reste le Golaud de Gordon Bintner. Voix âpre qui ne trouve jamais le juste équilibre entre parlé et chanté, le baryton canadien manque d’assise dans le grave, ce qui ne lui permet pas de donner la profondeur et l’humanité à son personnage qui parait uniformément brutal, à l’exception des scènes finales où il semble transfiguré.

Opéra Bastile, saison 2024-2025, Pelléas et Mélisande. Photographie © Benppoîte Fanton / OnP.Opéra Bastile, saison 2024-2025, Pelléas et Mélisande. Gordon Bintner, Huw Montague Rendall. Photographie © Benoîte Fanton / Opéra national de Paris.

Dans leur courte intervention du deuxième acte, les chœurs sont impeccables et dans la fosse l’orchestre remarquable. La direction d’Antonello Manacorda, est au diapason de l’approche théâtrale, avec des tempi étirés, une absence presque totale de contrastes, et une propension à faire exclusivement du beau son, elle ne se libère vraiment que dans les derniers actes lorsque le drame se cristallise. Au rideau final le succès est sans partage. Quelque défections dans la salle après l’entracte, laissent à penser que l’opéra de Debussy reste encore à plus de 120 ans de sa création, une œuvre difficile d’accès pour un public lambda.

plume 6 Alfred Caron
Opéra Bastille, 28 février 2025
© musicologie.org

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