2025 —— Alain Lambert.
Douze cédés jazzy pour aborder décembre
Letter to Bill du duo Nicaise-Soler, Casbah Qassioun du Shems Bensali 5tet, Baryon Acoustic Oscillation du Janis Fedotovs 4tet, Le temps d’écrire du Louis Bao Lao 4tet, Jeux de mains du Lenni Torgue 5tet, Proximity Alert du Russ Lossing trio, Célébration du Texier-Marguet 4tet, Dopamine du Jean Charles Aquaviva trio, Rust du Nola 4tet d’Amaury Faye, Lili du Tom Bourgeois 4tet, KLT & Friends du Kévin Larriveau trio et Shiraz de Dhafer Youssef.

Letter to Bill (Durance 2025) du duo Alain Soler à la guitare électrique et Robin Nicaise au saxophone ténor est un pari bien étrange : jouer la musique de Bill Evans, LE pianiste (parmi quelques autres bien sûr) par excellence. Sans piano et sans le trio qui va de pair. Mais pourquoi ?
Car il s’agit à la fois d’un style et d’un esprit à retrouver. Un sax lyrique pour explorer les compositions ou les standards préférés du pianiste, une guitare harmonique sobre ou avec des effets bienvenus — Bill Evans lui-même a usé du clavier électrique en son temps — mais qui ne se limite pas à la seule main gauche, avec de beaux solos aussi. Un chouette duo épistolaire.

Casbah Qassioun (Jazz Family 2025) du trompettiste franco-algérien Shems Bendali installé à Genève avec son quintet : Arthur Donnot au sax ténor, Andrew Audiger au piano et claviers, Yves Marcotte à la basse et Marton Kiss à la batterie. Chimène Zarkan est au chant sur Al-Alam Binihar, ainsi que Amir Mraihi au oud, qu’on retrouve aussi sur Sands of the Unseen. Le premier titre, Bled Runner donne l’ambiance un peu SF entre Blade Runner et le 5e élément, quintet oblige, en écho avec les illustrations de pochette de Greg Pache. Un jazz qui se joue des traditions et se veut aussi l’héritier de la période arabo-andalouse, quand les cultures savaient voisiner.

Baryon Acoustic Oscillation (Jazz Family 2025) du quartet du vibraphoniste et compositeur Janis Fedotovs, venu de Lettonie en France pour continuer ses études musicales. Il s’y est entouré de Clément Mérienne au piano, d’Étienne Renard à la contrebasse et de Elie Martin-Charrière à la batterie. Au Cross-Country Ski Hop qui ouvre l’album de façon dynamique et classique succède un moment d’improvisation réciproque entre les quatre musiciens. S’ensuit une méditation vibraphonique évanescente. Le morceau titre de ce bel album nous introduit dans un univers où l’oscillation de la contrebasse provoque l’irruption de l’imaginaire microphysique et percussif.

Le temps d’écrire (BSP 2025) est l’œuvre du batteur Louis Bao Lao, longtemps accompagnateur d’Ernesto Tito Puente, et dont on sent les influences latines. Mais il est aussi compositeur pour ce premier disque en quartet, d’où le titre. Puisque sur onze titres, seuls deux sont des standards, Invitation et Lover (la vraie piste 10 que la pochette a omise). Entre jazz classique et jazz latin, un peu cubain, un brin brésilien, le saxophoniste David Prez, le pianiste Vincent Bourgeyx et le contrebassiste Marc Bollengier multiplient les approches et les impros autour des morceaux tricotés par les baguettes du batteur. Et l’ensemble sonne parfaitement.
À entendre en direct au Sunside à Paris le 17 décembre.

Jeux de mains (Jazz family 2025) est le fruit d’un quintet franco-suisse mené par le vibraphoniste et compositeur Lenni Torgue. Arthur Tanguy est à la flûte, et a composé Noemvri. Benjamin Fryde est aux clarinettes, et a composé Peace. Antoine Brochot est à la contrebasse et Noé Tavelli à la batterie. Cet ensemble à double vent et sans piano profite de cette matière sonore particulière pour s’inscrire dans une modernité rythmique et acoustique bien affirmée. On s’amuse ou bien ? le dit peut-être sans oublier Vas-y wesh au jeu répétitif et stridulé. Mais la ballade Song for my child est presque classique. Les mains joueuses s’amusent des traditions dans cet album intrigant.
À découvrir à Genève le 5 décembre, puis à Nyon et Versoix fin janvier.

Proximity Alert (Songs 2025) du Russ Lossing trio est une expérience dans la mesure où le trio, se connaissant depuis des années, est rentré en studio sans répétition préalable. Mark Helias est à la contrebasse, Eric McPherson à la batterie. Russ Lossing, le pianiste et compositeur explique : « Mon écriture se concentre désormais sur une musique rapidement assimilable par des musiciens/improvisateurs expérimentés, mais qui soit intéressante et complexe sans être compliquée. » Même si Incommunicado en ouverture est plutôt révélateur, Rythmique, Lamento, Sequenza sont plus précis pour définir ce jazz improvisé et spontané, toujours en alerte.

Célébration (Mélodie en sous-sol 2025) est le nouvel album du quartet de Sébastien Texier, sax alto et clarinette, et Christophe Marguet, batterie. Chacun d’eux a composé pour moitié les dix titres qui célèbrent les grands moments de libération dans l’histoire universelle, de 1789 en passant par Paris libéré puis Les Œillets ou Mandela, entre autres moments historiques. Mais aussi Yellowstone, premier parc national créé en 1872. Ils sont accompagnés comme depuis 8 ans par Manu Codja à la guitare électrique et François Thuillier au tuba. Une musique chaleureuse, tout à la fois écrite et arrangée, avec de longues improvisations contemplatives.
À célébrer en live au Triton des Lilas le 5 décembre.

Dopamine (Jazz Family 2025) du pianiste et compositeur Jean-Charles Aquaviva, accompagné de Bertrand Beruard à la contrebasse, de Elie Martin-Charrière à la batterie. Et sur trois titres de Cédric Braud à la guitare lumineuse. Happiness en ouverture donne le ton, celui lié à la dopamine, la molécule de l’énergie, et du bonheur, dit-on. Il s’agit pour le trio d’explorer métaphoriquement la biochimie, à travers les cellules et les synapses par exemple, qui conditionne le bon fonctionnement de notre esprit, et de tenter de le traduire en neuf moments musicaux. Un jazz énergique et joyeux où chaque musiciens prend plaisir à cette exploration.
À écouter à Paris au Sunside le 10 décembre.

Rust (Clearway prod 2025) est le nouvel album du pianiste et compositeur toulousain Amaury Faye. Avec son Nola quartet néo-orléanais composé de Julian Lee au sax ténor, Amina Scott à la contrebasse et de Herlin Riley à la batterie, il nous offre une musique brute enregistrée près du Mississippi au rythme des trains et des sirènes qui traversent la ville rouillée jour et nuit. Un piano bien syncopé, allant jusqu’à retrouver le son du ragtime dans Public Belt Rag, un sax âpre et chantant, une contrebasse palpitante et une batterie ricochante. Tout un univers musical riche et foisonnant, trépidant et vibrant.
Il sera avec son Nola quartet le 13 juin 2026 à Marciac.

Lili (Igloo-BMC 2025) du saxophoniste, clarinettiste et compositeur Tom Bourgeois. Alex Koo est au piano, Lennart Heyndels à la contrebasse et Théo Lanau à la batterie. Sur six titres, Vincent Courtois est au violoncelle et sur quatre, Veronika Harsca à la voix, et aux textes sur Hymne au soleil et Attente. Il ne s’agit pas d’une interprétation classique des œuvres de Lili Boulanger, mais d’une recréation de ses thèmes par le compositeur d’aujourd’hui, mêlant classique, jazz et musique contemporaine de belle façon. Le violoncelle et la voix apportent leurs couleurs au quartet de jazz. Un bel hommage pour faire revivre une musicienne disparue il y a plus de cent ans.

KLT & Friends (Resolution Records 2025). KLT est d’abord un trio comme son acronyme le laisse entendre : Kévin Larriveau en est le pianiste et claviériste, et aussi un des compositeurs, car il a laissé ses invités apporter leurs musiques, comme le trompettiste Brieux Stievenard, et leurs textes comme Amandine Cabald Roche, Alice Chahbazian, Galawesh, Rania Bahzad ou Yure Romao. Gabriel Gorr est à la contrebasse et Théo Schirru à la batterie. China Moses dit un texte qu’elle a traduit du français en anglais. Et le quatuor à cordes Interestring 4tet accompagne un titre. Bref, hormis le morceau du trompettiste, un album très chanté, très funky et réussi.
En concert le 2 décembre au Duc des Lombard à Paris.

Shiraz (ACT 2025) est le nouvel opus de l’oudiste, vocaliste et compositeur Dhafer Youssef, avec Daniel García au piano, Mario Rom à la trompette, Swaeli Mbappe à la basse, Tao Ehrlich à la batterie. Nguyên Lê est à la guitare électrique, et aux climats sonores sur 4 titres. Il est dédié, comme son titre l’indique à son épouse, après la maladie qu’elle a dû affronter. Un jazz à la fois méditatif et apaisé, jouant de la répétition pour permettre à l’oud de dialoguer avec les autres invités, tout en sachant s’effacer au besoin, puis rejaillir de façon étincelante, souvent complice du piano. Le vocaliste a aussi gagné en sobriété, et en intensité. Un bel album où le silence est aussi important.
A découvrir à Thonon les Bains le 24 janvier et à Paris au Théâtre du Châtelet le 8 février avant une tournée dans les pays nordiques en avril.


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ISSN 2269-9910.

Lundi 1 Décembre, 2025 15:05