Jean-Marc Warszawski, 28 décembre 2025
De Schumann à Schumann : romantisme épistolaire et musical
Christian-Pierre La Marca, grand salon des invalides, 8 décembre 2025. Photographie © musicologie.org.
Un des derniers concerts de l’an vingt-cinq de deux mille, au grand salon de l’hôtel des Invalides, un spectacle bien imaginé et intelligemment réalisé par Christian-Pierre La Marca, séduit, étonné par le souffle poétique des échanges épistolaires amoureux d'un siècle passé, un exercice aujourd’hui disparu.
Il s’agit d’un choix des lettres échangées par Clara et Robert Schumann, rayonnantes d’amour, de tendresse, d’intime complicité, d’une qualité littéraire remarquable, mêlées à un choix de leurs œuvres arrangées pour violoncelle et piano, avec une petite visite de Johannes Brahms (Frei aber einsam… Libre ? ce n’est pas vraiment sûr) le pauvre, et la superbe idée d’avoir demandé à quatre compositrices et compositeurs contemporains de donner leur éclairage, magnifique ouverture sur un « autre monde », qui donne non pas une respiration, mais des intermèdes méditatifs offerts à l’auditeur : Patricia Kopatchinskaja, Fabien Waksman, Jean-Frédéric Neuburger, Michelle Ross.
Frédéric Neuburger, grand salon des Invalides, 5 décembre 2025. Photographie © Musicologie.org.
Didier Sandre a été appelé en renfort pour la lecture des lettres et une ébauche de mise en scène toute en finesse. Christian-Pierre La Marca (violoncelle, arrangements, récitant, très bon récitant), Jean-Frédéric Neuburger (piano, composition, un peu récitant). Ce programme a fait l’objet d’un enregistrement l’année dernière.
C’est, sans machinerie, un beau spectacle en fin de compte dense et complexe dont la réussite est essentiellement due à la beauté des compositions et au talent des interprètes, mais aussi dans le cadre chambriste, à la présence de principes scéniques, tels, évidemment, la théâtralité de la dualité des deux instruments, mais aussi celle des musiques romantiques et contemporaines qui fonctionnent comme aria et récitatif, rôle qu’on peut également donner au récitant, sinon celui de coryphée : une belle richesse de confrontations formelles pour la diversité de la dispositio.
Didier Sandre, grand salon des invalides, 5 décembre 2025. Photographie © musicologie.org.
Nous sommes souvent déçu par la partie récitante en musique, en général trop emphatique, mais surtout parce qu’elle semble provenir d’un autre monde sonore que celui de la musique, qu’elle soit à voix nue ou, souvent plus étrangère, sonorisée (même effet que les voix off au théâtre). Pour une fois il y avait là un bon équilibre sonore et une sobriété de bon goût. Mais nous regrettons tout de même que l’on colle les récitants à une table, avec parfois une lampe, un candélabre, comble du Kitsch, ou à un pupitre en pensant au bienfait de l’uniformisation cohérente avec les musiciens, au lieu de jouer sur l’opposition. De plus, mobile sur scène l’acteur peut donner de la profondeur dramatique à la scène qui n’est que façade au concert, installer des « lieux magiques », sans pour autant brouiller la magie même de la musique.
Une fois le concert achevé, revenons aux lettres amoureuses, die Liebesbriefe (pourquoi avoir intitulé ce spectacle Love Letters ?). On peut se demander si le père de Clara Wieck n’avait pas repéré l’instabilité mentale de Robert Schumann, pouvant passer pour délicieusement romantique, qu’il mit, devant le juge, au compte de l’alcoolisme, pour empêcher l’union de sa fille déjà célèbre à ce jeune compositeur sans le sou et à l’avenir professionnel incertain. On suppose, mais on suppose moins quand on compare avec étonnement le foisonnement romantique de leurs musiques et de leurs échanges épistolaires avec le dur quotidien qui fut celui de Clara Schumann qui mit au monde huit enfants en douze ans, qui enchaînait les tournées de concerts et enseignait pour faire bouillir la marmite, qui secondait son mari, qui devait trouver le temps de travailler son instrument et d’un peu composer… et les errances de Robert jusqu’à sa crise du 27 février 1854 qui le fit se jeter dans le Rhin, son internement quelques jours plus tard auquel il survécut deux années… Du romantisme.
28 décembre 2025.



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ISSN 2269-9910

Dimanche 28 Décembre, 2025 2:24