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Montpellier, Opéra Comédie, 8 avril 2025 —— Alfred Caron.

Dans le bleu de la mer Noire : Mithridate, roi du Pont à Montpellier

Mithridate, Opéra-Comédie de Montpellier. Photographie © Marc Ginot.Mithridate, Opéra-Comédie de Montpellier. Photographie © Marc Ginot.

Venue de Lausanne où elle a été créée en début d’année, la production de Mitridate, re di Ponto, premier opéra séria d’un Mozart de 14 ans, abordait la scène montpelliéraine avec une distribution presque entièrement renouvelée.

Gommant l’arrière-plan politique, la guerre qui oppose le Roi du Pont à Rome, la mise en scène d’Emmanuelle Bastet choisit de se concentrer sur les aspects intimes du livret et les conflits familiaux — l’opposition entre les deux frères ennemis, Sifare et Farnace, tous deux amoureux d’Aspasia, et en révolte contre leur père à qui elle est promise. Ce faisant sa vision, un rien expressionniste vire souvent à l’empoignade domestique, et la brutalité en est le langage prédominant, bien loin de l’esprit policé d’une intrigue tout droit tirée de la tragédie classique de Racine.

Le décor de Tim Northam — un jeu d’escaliers et de rideaux de fil en perpétuel mouvement dont les volumes semblent vouloir évoquer un palais labyrinthique et l’enfermement des personnages baigne dans une ambiance uniformément bleue, peut-être celle de cette mer Noire (réputée d’un bleu exceptionnel par les anciens), sur laquelle règne le monarque. Au deuxième acte, un mur de miroir fragmenté, façon Vasarely, fait son apparition en fond de scène en même temps que l’envoyé romain Marzio avec lequel s’est allié Sifare contre son père, concrétisant sans doute cette guerre que concluront la défaite et la mort du roi (blessé au combat) dont la metteuse en scène a choisi de faire un suicide (retrouvant ici la réalité historique). Elle a également choisi de gommer le chœur final et le lieto fine (la fin heureuse), n’en laissant qu’une curieuse version orchestrale, alors que la mort symbolique ou réelle du Monarque, typique de l’opéra séria, est justement le gage de la réconciliation et de l’union des autres personnages dans un projet commun, ici la guerre contre Rome.

Mithridate, Opéra-Comédie de Montpellier. Photographie © Marc Ginot.Mithridate, Opéra-Comédie de Montpellier. Photographie © Marc Ginot.

Pour cette reprise, confiée à Philippe Jaroussky, le chef avait réuni une distribution de son cru, confiant, à rebours de la tradition, le rôle de Sifare, originellement un soprano (castrat évidemment à l’époque), au contre-ténor Key’mon Murrah dont les registres dissociés, entre un médium large et un aigu étroit et fluté quasi enfantin, laissent une impression pour le moins étrange et réclament tout le premier acte pour s’y habituer. Succédant a Lauranne Oliva qui endosse cette fois celui d’Ismene avec son beau soprano souple et pulpeux, Marie Lys manque un peu d’ampleur pour le rôle dramatique d’Aspasie, ce qui est frappant dans son air d’entrée dont les aigus paraissent criés et plus encore dans le grand air « Pallide ombre », un des sommets de l’œuvre. Un grave plutôt pâle et une personnalité peu affirmée, ne permettent pas à la mezzo Hongni Wu de donner tout le relief voulu à Farnace, le mauvais garçon en révolte ouverte contre son père. Nicola Balducci compose un Arbate, un rien malveillant et vipérin, qui convient bien à cette vision et Rémy Burnens campe avec son ténor central et charpenté un solide Marzio. Dans le rôle-titre, Lévy Sekgapane se révèle un Mitridate superlatif, maîtrisant à la perfection les sauts de registres de son redoutable air d’entrée « Se di lauri » et composant un personnage tyrannique et tourmenté très crédible, aidé par des récitatifs magnifiquement articulés et expressifs et une technique belcantiste qui lui vient de ses origines de ténor rossinien. Si l’ensemble de la distribution gagne en crédibilité au fil de la soirée, il reste incontestablement le grand triomphateur de cette représentation auquel il confère une aura incontestable. Dans la fosse, Philippe Jaroussky dirige de façon diligente et attentive au plateau, l’Orchestre national Montpellier Occitanie une version presque complète (deux airs seulement ont été coupés) de cette longue partition de presque trois heures réduite à deux actes au lieu des trois du livret à laquelle il réussit a insufflé un intérêt qui ne se dément jamais ou presque, selon la capacité des interprètes à faire exister leurs personnages.

Mithridate, Opéra-Comédie de Montpellier. Photographie © Marc Ginot.Mithridate, Opéra-Comédie de Montpellier. Photographie © Marc Ginot.

Prochaines représentations les 10 et 12 avril.

Spectacle enregistré et diffusé par France Musique et diffusé le 17 mai dans le cadre de « Samedi à l’opéra »

plume 6 Alfred Caron
8 avril 2025
© musicologie.org


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