Opéra-Comique, 19 mars 2025 —— Alfred Caron.
Samson à l'Opera-Comique. Photographie © Stefan Brion.
Récusé deux fois par la censure, le projet d’un Samson qui aurait réuni Voltaire et Rameau dans un ambitieux projet de tragédie lyrique, destiné à « réformer » le genre, tomba à l’eau vers 1734. Le compositeur en utilisa finalement la musique déjà composée dans d’autres œuvres, mais on ignore exactement lesquelles. Ni reconstitution musicologique, ni même véritable réutilisation du livret originel, le Samson de Raphaël Pichon et Claus Guth, puise dans le riche vivier des opéras de Rameau (une douzaine au total), en arrange les textes en substituant notamment les noms et invente en guise de lien dramaturgique, un personnage — la mère de Samson — errant dans le temple détruit par son fils et nous racontant une histoire que nous connaissons bien et qui n’avait pas besoin de son récit. Du coup sa seule nécessité est d’éviter, grâce au flashback, de représenter la catastrophe finale, celle de l’écroulement du Temple.
Ni ce truchement ni les fragments du texte biblique (extraits du Livre des Juges) qui défilent sur un prompteur ni le bruitage entre les scènes ne parviennent à donner une véritable unité à cette réalisation qui, même au plan musical, tient du patchwork et ne cesse de sauter du coq à l’âne.
On passera sur les ouvriers qui viennent de temps en temps ausculter le décor en ruines, l’ajout d’un sans-abri, prophétisant la venue du Messie, pour se concentrer sur une des inventions de cette réécriture. Plutôt fidèle à la lettre dans l’épisode de Dalila qui constitue l’essentiel de la seconde partie, la dramaturge qui partage sans doute avec le chef et le metteur en scène la responsabilité de ce tripatouillage) ne peut s’empêcher de dédouaner Dalila. La traîtresse, en effet, prise de remords, après avoir livré Samson se tranche les veines sur l’air célèbre de Télaïre, « Tristes apprêts, pâles flambeaux » et jette aux orties les cent pièces d’argent que lui ont rapporté sa trahison. Pas grand-chose à voir avec l’héroïne cynique qu’a retenu la postérité, mais sans doute avec Judas, l’adaptation faisant, de façon allusive, de Samson une sorte de préfiguration du Christ.
Samson à l'Opera-Comique. Photographie © Stefan Brion.
On reconnaitra certes à Claus Guth une remarquable maîtrise dans les scènes de foule quasi chorégraphiées et quelques belles images comme ce corps supplicié qui descend lentement des cintres pour plonger dans les dessous sur l’entrée de Polymnie des Boréades. Sa direction d’acteurs réussit à faire exister ses personnages et il est bien servi par une excellente distribution. Dans le rôle-titre, le baryton Jarret Ott donne corps à un Samson puissant et tourmenté. Les airs qui ne sont pas tous dans la meilleure de sa tessiture laissent parfois entendre un léger vibrato, mais son articulation est remarquable et sa présence scénique impressionnante. En Timna, la première amante de Samson, Julie Roset déploie toute la séduction de son soprano délicat. Ana Maria Labin est une Dalila très affirmée, un rien métallique de timbre. Mirco Palazzi incarne avec conviction et une basse un peu sourde le cruel grand prêtre de Dagon et Laurence Kilsby, superbe haute-contre, le traitre Elon, qui finira lui aussi assassiné par les méchants Philistins.
Le chœur et l’orchestre Pygmalion sont évidemment exemplaires dans cette musique qui leur va comme un gant. Mais on regrette tout de même, un certain maniérisme induit bien sûr par une volonté de coller à l’expressionnisme de la mise en scène, qui pousse souvent Raphaël Pichon à étirer les tempi au-delà du raisonnable et dénature particulièrement certains airs déjà bien travestis par les changements de tessitures et le gauchissement de leur sens.
Prochaines représentations les 21 et 23 mars
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