Richard Strauss, Gesamtaufnahme (enregistrement intégral), Elektra, opus 58, Barbara Krieger, Sanja Anastiasia, Astrid Weber, Jochen Kupper, Sotiris Charalampous, orchestre Experience sous la direction de Julien Salemkour. Solo musica 2025 (SM 484).
Enregistré au Knutson Studio Berlin.
Fruit de la première collaboration entre Hugo von Hofmannsthal et Richard Strauss qui s’étaient déjà croisés en 1900 — le premier avait proposé au second l’argument d’un ballet — Elektra, créée à la Semperoper de Dresde le 25 janvier 1909, repose aussi sur la rencontre autour d’une œuvre théâtrale, à l’image de la Salomé d’Oscar Wilde produite à Berlin par Max Reinhardt (1873-1943) en 1902. A priori, beaucoup de ressemblances constatées par le poète et dramaturge viennois : « les deux pièces sont en un acte, chacune porte un nom de femme, elles se passent toutes deux dans l’Antiquité et furent créées à Berlin par [l’actrice] Gertrud Eysoldt ». Mais Hugo von Hofmannsthal précise aussitôt au compositeur ses intentions dramaturgiques : si « la combinaison des coloris était dans Salomé le pourpre et le violet dans une atmosphère étouffante ; dans Electre, en revanche, un composé de nuit et de lumière, noir et clair ». En témoigne le choix du lieu : une cour intérieure au crépuscule et dont la sinistre obscurité rend l’agitation qui y règne encore plus menaçante, inaccessible même dans la scène ultime du double assassinat de Clytemnestre et d’Egisthe. Une inaccessibilité qui n’est pas sans nous faire penser à l’inconscient freudien.
Reste que cette atmosphère, tant musicale que vocale, encore plus sourde qu’étouffante nous est parfaitement restituée dans le CD « Elektra – Op. 58 Gesamtaufnahme » (enregistrement intégral) paru récemment chez Solo Musica. Enregistrée pendant la période de confinement due à la Covid-19, cette œuvre dans laquelle le chef d’orchestre hannoveranner Julien Salemkour, nommé en 2011 Staatskapellmeister à la Staatsoper de Berlin, s’est profondément immergé « mich tief in diese Oper zu versenken » et qui dirige la phalange Orchestre Expérience, nous permet de bénéficier de la fidélité au texte original lors de sa création. Ceci tout en sachant qu’entre l’œuvre théâtrale et le livret d’opéra, figurent des passages ajoutés ou des fragments de la tragédie d’origine exclus pour le livret d’opéra ainsi que le précise l’édition bilingue des trois œuvres, parue chez Garnier Flammarion (Electre, Le Chevalier à la rose, Ariane à Naxos, Présentation par Pierre-Antoine Huré, GF 868, 2002).
Musicalement, c’est une brillante réussite qui nous plonge — à notre tour ! — dans une luxuriance orchestrale inouïe en fonction des états psychiques des personnages — des états hystérisés, d’écorchés vifs — et des épisodes orchestraux les plus inattendus : berceuse pour évoquer la tendre relation au père Agamemnon « Nur so wie gestern, wie ein Schatten, … », tonalité presque envoûtante pour les dialogues entre la mère et la fille, valse érotisée destinée à séduire Chrysothémis afin de l’enrôler dans le projet meurtrier d’Electre, et, sans doute le plus étonnant, la lointaine réminiscence wagnérienne — acte I de Die Walküre — qui accompagne la reconnaissance mutuelle entre Electre et son frère Oreste.
Dans le rôle-titre qui ne quitte plus la scène une fois qu’elle y paraît, la soprano Barbara Krieger dont le livret d’accompagnement nous précise seulement qu’elle a étudié au Mozarteum de Salzbourg sans trop nous informer de sa biographie, nous gratifie d’une interprétation substantielle, vibrante, de la déchirure d’un être meurtri « Allein ! Weh, ganz Allein ! » jusqu’à l’extase mortifère « Schweig und tanze ». Nous serons un peu plus réservé sur la Chrysothémis d’Astrid Weber, plus audible dans son « Kinder will ich haben », moins lorsque ses aigus souvent criards ne profitent pas forcément à l’hystérie attendue du personnage. Très belles prestations, en premier lieu celle grinçante et plaintive de Sanja Anastasia (Clytemnestre) ainsi que celles des deux rôles masculins : Jochen Kupfer campe vocalement avec tout le mystère d’un retour imprévu Oreste tandis que le ténor Sotiris Charalampous fait ses débuts dans le rôle d’Egisthe. L’écoute de cette Elektra est étonnamment — et puissamment — visuelle : signe incontestable de la qualité de cet enregistrement.
Jean-Luc Vannier
Nice, le 25 juin 2025
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Mercredi 25 Juin, 2025 16:38