7 novembre Jean-Marc Warszawski, 2024
Cycle de récitals « piano mon amour » de la fondation Alfred Reinhold pianos Blüthner, Paris, Goethe-Institut, 5 novembre 2024.
Juliana Steinbach au Goethe-Institut Paris, 5 novembre 2024. Photographie © musicologie.org.
Nous n’avions pas entendu Julia Steinbach depuis sept années, au même endroit d’ailleurs où Nelson Freire était également venu témoigner son amitié et mêler ses applaudissements à ceux du public au Goethe-Institut de Paris. Récompensée il y a plus de vingt ans par la fondation Alfred Reinhold, elle lui est restée fidèle.
Elle a profité de son passage parisien pour étrenner de nouvelles chaussures apparemment inconfortables, la dématérialisation de ses partitions rematérialisée par une grande liseuse ajoutant une pédale tourne page, ce qui ne doit pas être évident pour les pianistes, et un nouveau répertoire à roder :
La sonate no 7 opus 83 en si bémol majeur de Sergueï Prokofiev et la sonate D 960 en si bémol majeur de Franz Schubert.
La sonate de Prokofiev est une œuvre compliquée, difficile, dure, dissonante, mécanique, peu articulée, voire agressive. Depuis 1941, le compositeur est déplacé à la suite de l’invasion nazie en URSS et compose, comme il le dit « d’un poing vigoureux ». Même si ses trois sonates 6, 7, 8 n’ont pas de programme et qu’il est tenu en sécurité loin des combats, elles disent tout de même le chaos destructeur de la guerre et la 7e et au fond d’une grande beauté sauvage. Il interpréta la sonate le 3 janvier 1943, devant le Comité des affaires artistiques qui la reçut favorablement ; mais c’est Sviatoslav Richter qui la créa cette sonate le 18 janvier 1943. Ayant peu de temps pour la travailler, il n’avait trouvé que le piano de son collègue Heinrich Neuhaus et Richter raconta qu’il avait presque causé la mort de son épouse malade avec 40° de fièvre « qui dut subir les assauts du mouvement final pendant trois heures ou plus en tout, et sur une période de quatre jours entiers ». L’œuvre reçut peu après le Prix Staline.
Juliana Steinbach au Goethe-Institut Paris, 5 novembre 2024. Photographie © musicologie.org.
Avec la 21e sonate de Beethoven, Juliana Steinbach confirme son attirance pour les grands projets et les gageures, mais ce soir n’est pas en joie. Quand il compose cette sonate, Franz Schubert a un pied dans la tombe et l’autre dans les souffrances. C’est sa dernière œuvre, les mélomanes y entendent en général et certainement à juste titre un chant du cygne dramatique, surotu dans les deux premiers mouvements un molto moderato au thème bien proche d’un de ses Moments musicaux, et un andante sostenuto déchirant. Les deux mouvements suivants nous redonnant un peu de couleurs et de joie de vivre, mais dans le clair obscur schubertien. On sait que le clair-obscur, où l’on ne distingue pas entre chien et loup ni les étoiles, est plus angoissant que la nuit.
Julia Steinbach s’est montrée digne de ses mentors Martha Argerich, Nelson Freire et Maria João Pires, brillante de technique et d’intentions musicales. Dommage que le beau grand Blüthner n’ait pas été dans ses meilleurs jours, ternissant autant les accords bombastiques de Prokofiev que le lyrisme de Schubert.
Juliana Steinbach au Goethe-Institut Paris, 5 novembre 2024. Photographie © musicologie.org.
Rappelons que née au Brésil, Juliana Steinbach a suivi ses études musicales entre le Conservatoire de Lyon, le National Supérieur de Musique de Paris, l’Accademia Pianistica d’Imola en Italie et la Juilliard School de New York. Elle s’est formée auprès des plus grands pédagogues (Aimard, Angelich, Bashkirov, De Larrocha, Eschenbach, Frankl, Kalichstein, Krasovsky, Paraschos, Rigutto, Rados, Rouvier, Salzman, Scala) et compte parmi ses mentors Martha Argerich, Nelson Freire et Maria João Pires.
Lauréate de plusieurs prix internationaux, Juliana Steinbach se produit dans un vaste répertoire en récital, dans diverses formations de musique de chambre, en musique contemporaine et en concerto avec orchestre. Du festival de La Roque d’Anthéron au Salzburger Festspiel, du Lincoln Center de New York au Teatro Colon de Buenos Aires, elle est invitée sur les plus grandes scènes européennes et internationales.
Sa discographie comprend plusieurs albums consacrés notamment à Liszt, Moussorgski, Debussy, Brahms. Elle est la fondatrice et directrice artistique de plusieurs projets musicaux en Bourgogne (festival Musique en Charolais-Brionnais, saison de concerts UnisSONS et Camerata Le Concert de Bourgogne) ainsi que d’un festival de piano et musique de chambre en Transylvanie. Ses projets actuels incluent un programme franco-brésilien de Saudades do Brasil, une performance chorégraphique des Partitas de Bach, une Beethoven Odyssey et l’intégrale des concertos pour piano de Bartók.
Jean-Marc Warszawski
7 novembre 2024
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Mercredi 6 Novembre, 2024 19:45