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décembre 2024 — Frédéric Léolla

homosexualité

Sexe et opéra (IX. 4) : Mort à Venise, Billy Budd, Le Roi Roger

Le Rois Roger II couronné par le Christ, église de la Martorana à Palerme.Le Rois Roger II couronné par le Christ, église de la Martorana à Palerme.

Death in Venice (Mort à Venise), Musique de Benjamin Britten, sur un livret de Myfanwy Piper d’après le roman de Thomas Mann, créée en 1973, Aldeburgh, Snape Maltings.

Billy Budd, Musique de Benjamin Britten, sur un livret d'Edward Morgan Foster et Eric Crozier d’après la nouvelle d'Herman Melville, créé en 1951, Londres, Covent Garden.

Krol Roger (Le Roi Roger), Musique de Karol Szymanowski, sur un livret de Jaroslaw Iwaszkewicz, créé en 1926, Varsonie, Théâtre Nationa.

Billy Budd est un marin qui par sa beauté, sa générosité et son entrain, fascine tout l’équipage aux ordres du commandant Vere. Seul défaut, Billy est bègue lorsqu’il se trouve dans une situation de danger. Claggart, le capitaine d’armes, veut détruire Billy Budd et soulève contre lui une fausse accusation de mutinerie alors que les frégates ennemies ont été aperçues. Billy, incapable de répondre de par son bégaiement, frappe le menteur qui accidentellement meurt. Billy sera jugé par une cour martiale qui le condamnera pour meurtre en situation de danger en face de l’ennemi. Obligé d’appliquer la loi à son grand regret, Vere devra commander que la sentence de mort, qu’il sait pourtant foncièrement injuste, soit exécutée. Billy est pendu.

Britten, dont la relation avec le ténor Peter Pears était bien connue, s’est intéressé plusieurs fois à des personnages homosexuels — et c’est peut-être bien le premier compositeur du répertoire à avoir pu le faire grâce à la libéralisation des mœurs en Occident !

Dans Billy Budd, deux sont au moins les personnages que l’on peut repérer comme « homosexuels ». Bien sûr, ce n’est pas une homosexualité « affichée », encore moins « revendiquée » (l’homosexualité, plus ou moins « tolérée » par les différentes polices nationales selon les périodes, est pénalement condamnée dans presque toutes les nations, et il faudra attendre 1967 pour qu’elle ne soit plus un crime en Angleterre) ; dans Billy Budd ce sont des « tendances homosexuelles refoulées » que le spectateur peut clairement supposer. Mais ce « refoulement » a des conséquences très différentes.

Benjamin Britten, Billy Budd, création, en 1951, au Covent Garden Opéra de Londres, sous la direction de Benjamin Britten, Billy Budd (Theodor Uppman), Peter Pears (capitaine Vere).Benjamin Britten, Billy Budd, création, en 1951, au Covent Garden Opéra de Londres, sous la direction de Benjamin Britten, Billy Budd (Theodor Uppman), Peter Pears (capitaine Vere).

Chez Mr Claggart, le méchant, l’homosexualité refoulée crée un mélange de jalousie et de sadisme : il veut « détruire » Billy Budd. Chez le gentil, le capitaine Vere qui nous raconte l’histoire, l’homosexualité refoulée fait naître une sorte d’admiration amourachée, mais impuissante face à la notion de devoir. Il m’est d’avis que les spectateurs homosexuels — et ce n’est pas une petite partie parmi les spectateurs opératiques — devaient pouvoir s’identifier facilement à l’un et/ou à l’autre.

Claggart est incarné par une basse — dans la lignée des méchants pervers à la voix grave (voir Méchants obsédés) — aux lignes mélodiques à la fois âpres, sombres et sinueuses, avec des élans de violence.

Vere, incarné par un ténor léger (depuis la première jusqu’à la fin de sa carrière, Peter Pears en donna une interprétation plus que remarquable), est souvent accompagné par le son aristocratique et calme de la harpe, et ses moments de vraie tension correspondent à ses tiraillements entre l’amour et l’admiration pour Billy et son devoir de le pendre selon la loi martiale.

Dans Death in Venice, l’écrivain d’âge mûr Aschenbach arrive à Venise en quête de repos et d’inspiration. Il y tombe en fascination devant un jeune adolescent, Tadzio. Mais l’écrivain, avant de sortir de cette fascination ou d’aborder le jeune, mourra du choléra.


Benjamin Britten, Death in Venice, Robert Tear (Gustav von Aschenbach), mise en scène de Colin Graham, décors de Tobias Hoheisel, sous la direction de Graeme Jenkins, Festival de Glyndebourne, 1992.Benjamin Britten, Death in Venice, Robert Tear (Gustav von Aschenbach), mise en scène de Colin Graham, décors de Tobias Hoheisel, sous la direction de Graeme Jenkins, Festival de Glyndebourne, 1992.

Death in Venice est né alors que l’homosexualité n’était plus pénalisée en Grande-Bretagne. Le livret aborde plus clairement la question : la fascination de l’écrivain mûr pour l’adolescent — déjà présente dans le roman de Mann — y est reflétée assez clairement, et l’acte I finit par un « I love you » de l’écrivain dirigé vers l’image de Tadzio — ce qui est plutôt explicite — moment de sincérité pour Aschenbach et pour les spectateurs.

Ici le dilemme moral, centre du débat dans Billy Budd, est remplacé par une progression de l’écrivain dans la fascination, dans l’envoûtement, et aussi vers la mort, retrouvant ainsi la vieille équation romantique « Amour égal Mort », ou au moins, « l’amour ne peut se résoudre que dans la mort ».

Benjamin Britten, Billy Budd, prologue, « I Am an Old Man... », Royal Opera House Orchestra & Chorus, eregistrement de la création.

Benjamin Britten, Billy Budd, création en 1951, au Covent Garden Opéra de Londres, sous la direction musicale de Benjamin Britten, dans une mise en scène de John Cranco et des costumes de John Piper, actes II. Benjamin Britten, Billy Budd, création en 1951, au Covent Garden Opéra de Londres, sous la direction musicale de Benjamin Britten, dans une mise en scène de John Cranco et des costumes de John Piper, acte II.

Par contre, comme dans Billy Budd, deux façons différentes d’aborder cet amour, l’apollinienne — qu’incarnait Vere dans l’opéra de 1951 — et la dionysiaque — dont Claggart était incarnation diabolique. Et comme dans Billy Budd, la voix aigüe (contreténor pour Apollon) prend en charge l’amour mesuré, presque intellectuel, et la voix grave (baryton pour Dionysos) le côté animal, instinctif — et aussi nécessaire — de l’amour.

Et le dilemme entre ces deux facettes de l’amour — en plus du dilemme entre une vie « rangée » ou un saut dans le vide, du dilemme entre rester sagement dans son fauteuil ou aborder finalement le bel adolescent — est bien le dilemme d’Aschenbach. Personnage torturé qui en ce sens rejoint aussi le personnage du capitaine Vere.

Karol Szymanowski, Le Roi Roger, l'air de Roxane, Ewa Trac (soprano), théâtre Wielki, 9 concours international de chant lyrique Stanisław Moniuszko 2016.

Karol Szymanowsky, Król Roger, théâtre Wielki, Varsovie, 1926, premier acte. © Jan Malarski / Tygodnik Ilustrowany, no 47, 3 juillet 1926.Karol Szymanowsky, Król Roger, théâtre Wielki, Varsovie, 1926, premier acte. © Jan Malarski / Tygodnik Ilustrowany, no 47, 3 juillet 1926.

Karol Szymanowsky, Król Roger, théâtre Wielki, Varsovie, 1926, deuxième acte. © Jan Malarski / Tygodnik Ilustrowany, no 47, 3 juillet 1926. Karol Szymanowsky, Król Roger, théâtre Wielki, Varsovie, 1926, deuxième acte. © Jan Malarski / Tygodnik Ilustrowany, no 47, 3 juillet 1926.

Le personnage du roi Roger, dans l’opéra homonyme de Karol Szymanowski avec livret de Jaroslaw Iwaszkewicz (1926), résoudra plus sereinement ses doutes et ses tiraillements. Mais dans l’œuvre (superbe, par ailleurs, un des plus beaux opéras du répertoire, surprenant) de Szymanowski, malgré les références à la vie du compositeur, qui découvrit son homosexualité et dut sentir lesdits tiraillements, comme nombre d’homosexuels encore aujourd’hui puisque souvent soumis à une éducation et à une société homophobes, nous ne pouvons pas vraiment dire que le personnage de Roger soit clairement homosexuel. Fasciné oui par le berger-dieu, peut-être, mais toujours amoureux de sa femme Roxanne. Si nous devons considérer Roi Roger comme une œuvre crypto-gay, le côté secret est aussi secret que dans le Don Carlos de Verdi/Schiller par exemple.

plume_04 Frédéric Léolla
9 décembre 2024
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