26 novembre 2024 — Frédéric Léolla
La Cenerentola ossia la bontà in trionfo (La Cendrillon ou bien La bonté en triomphe), Musique de Gioachino Rossini, sur un livret de Jacopo Ferretti d’après le livret Cendrillon de Charles Guillaume Etienne et le livret Agatina o la virtù premiata de Francesco Fiorini, d’après le conte de Charles Perrault, créée en 1817, Rome, Teatro Valle.
Cendrillon, Musique de Pauline Viardot-Garcia, sur son propre livret, d’après le conte de Charles Perrault. Créée en 1904, Paris, Salons de Mlle de Aogeiras.
Cendrillon, Musique de Jules Massenet, sur un livret d'Henri Cain d’après le conte de Charles Perrault, créée en 1899, Paris, Opéra-comique.
Cendrillon est utilisée comme domestique par ses deux belles-sœurs et sa marâtre (parâtre dans la version Viardot-Garcia). Or le Prince charmant donne un bal pour choisir sa future épouse et toutes les femmes célibataires du royaume y sont conviées. Mais belles-sœurs et marâtre s’opposent à ce que Cendrillon y aille. Elle reste donc à la maison triste et seule. C’est alors que la fée marraine de Cendrillon apparaît : grâce à des sortilèges, la fée lui fournit un beau vêtement, un carrosse et deux pantoufles en verre pour pouvoir assister à ce fameux bal. Seul hic, avant minuit, Cendrillon devra rentrer, car les sortilèges se dissiperont. Rendue donc au bal, elle y tombe amoureuse d’un beau jeune homme qui est en fait le Prince charmant et qui tombe à son tour amoureux de Cendrillon (Rossini/Ferretti et Viardot-Garcia ajoutent pendant le bal un travestissement du prince en valet et du valet en prince). Sauf qu’à minuit elle doit partir précipitamment. Tant et si bien qu’elle laisse tomber une de ses pantoufles en verre. Comme le prince charmant, resté seul, désespère de retrouver la belle élue de son cœur, Cendrillon, dont il ne connaît pas l’identité, il organise une quête nationale : il épousera la femme qui pourra chausser la pantoufle. Mais, bien qu’elles essaient toutes cette fameuse pantoufle, aucune femme du royaume ne peut la chausser (et surtout pas les deux belles-sœurs !). Sauf, bien évidemment, Cendrillon qui, vite reconnue par le prince, devient son épouse.
Représentation de Cendrillon dans les salons de Mlle Aogeiras, 23 avril 1904, Mesdames Borello d'Artaux, Lydia Lewis, Dal Piaz, Clara Fischer, comtesse Thierry de Cabanes, Messieurs Lopez de Frias, Maurice Vallade, de la Chardonnière, L. Gabrielli.
Cendrillon est le conte (le « mythe » ? Est-ce que certains contes, en Occident, ancrés dans l’inconscient collectif et dans l’imaginaire de tous depuis la plus tendre enfance, ne revêtent pas la condition de mythes ?) le mythe « fétichiste » par excellence, puisque la résolution tourne autour d’un objet fortement en contact avec la peau de la personne aimée, un objet adoré, un objet aimé, un objet qui en plus cache un endroit « secret » du corps : le pied. Un objet qui tient lieu de « contenant » où s’insère un « contenu » (le pied), reproduisant ainsi en métaphore selon l’explication psychanalytique, l’acte sexuel.
De ce fait, pour le premier opéra du répertoire qui adapte le conte, La Cenerentola de Rossini/Ferretti, la pantoufle dut être remplacée par un bracelet, ornement plus « convenable », situé sur une partie du corps, le poignet, non cachée, et donc au contenu moins « érotique ». Il ne se voit pas moins adresser une charmante phrase du prince Ramiro, le ténor (« Pegno adorato »).
Cette adaptation de Rossini/Ferretti est aussi la plus raisonnable : Cendrillon ne perd pas une pantoufle, mais donne un bracelet, il n’y a pas de magie ni fée marraine, mais un conseiller royal fort sage, le « sapientissimo » Alidoro, qui se rend compte de tout… En un certain sens, de même que Rossini ne se pose pas en révolutionnaire musical, mais plutôt en continuateur de Mozart ou de Paisiello, le librettiste, Jacopo Ferretti, sans rien bouleverser, est aussi dans la lignée de Goldoni ou de Moratín, aimable, réaliste — et très amusant, car il s’agît d’un des livrets les plus réussis parmi ceux écrits pour Rossini. Et le compositeur sait en tirer parti en écrivant un des ses opéras les plus inspirés et pétillants, un régal de bout en bout.
Emma Albertazzi (Emma Towson) dans le rôle de la Cenerentola, lithographie de Van Gielff, 1835. (1814-1847).
Lorsque Pauline Viardot-García s’intéresse à Cendrillon pour son unique et charmant opéra (on suppose après la mort de Tourgueniev en 1883), le pied féminin continue d’être un endroit caché — et donc source possible de fantasmes — mais la Viardot ne vit pas de ses compositions, peut-être a-t-elle même scrupule à les montrer… Elle suit assez de près le conte de Perrault, dans un livret bon-enfant et plein d’humour, avec une petite pointe de malice. Il en résulte un opéra-comique de chambre délicieux qui ne manque pas de solutions inattendues.
Théâtre national de l'Opéra Comique, Cendrillon... musique de J. Massenet, affiche d'Émile Bertand, 1900.
Massenet, en route déjà vers le xxe siècle, quand il propose sa Cendrillon, peut aussi parler de chaussure — la pantoufle en verre est déjà un tel classique que bien téméraire serait celui qui oserait maintenant la transformer en un simple bracelet ! Mais compositeur et librettiste n’y insistent pas trop, au cas où. Certes la pantoufle est perdue comme dans le conte, mais il n’y a plus de trace du moment où les sœurs essaient la pantoufle — alors que Viardot-García en fait une scène fort sympathique. Chez Massenet/Cain, la pantoufle se contente de trôner au milieu de la scène pendant que le prince se lamente. Mais c’est connu, Massenet est surtout un lyrique, et c’est dans les situations pathétiques ou tendres que ses merveilleuses mélodies peuvent se déployer — ce qui ne manque pas d’arriver dans ce très joli opéra.
Frédéric Léolla
26 novembre 2024
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Lundi 2 Décembre, 2024 18:39