Musique de Richard Strauss, sur son propre livret d’après Oscar Wilde, créée en 1905; Dresde, Hofoper.
Marie Garden dans le rôle de Salomé (1910). Photographie © D. R.
Le roi Hérodes a emprisonné le très dérangeant prophète Yokanaan. Salomé, belle-fille d’Hérodes, adolescente curieuse, va le voir en prison et en tombe amoureuse malgré l’indifférence méprisante du prophète. Mais Hérodes, fasciné à son tour par Salomé, promet à l’adolescente d’exaucer son vœu le plus cher si elle danse pour lui (c’est la fameuse danse des sept voiles). La danse finie, Salomé exige en échange qu’on lui apporte la tête de Yokanaan sur un plateau d’argent. Malgré ses scrupules, Hérodes se voit contraint de couper la tête du prophète. Restée seule, Salomé peut enfin embrasser la tête coupée de Yokanaan. Le roi, dégoûté, ordonne la mort de la jeune femme.
Richard Strauss, Salomé, « La danse des sept voiles , Orchestre Philharmonique de Radio France, sous la direction de Fabien Gabel, 1er avril 2023, Philharmonie de Paris.Tout cet opéra pourrait être considéré comme une excuse pour arriver au grand monologue de la protagoniste : sa scène de nécrophilie.
Salomé ne couchera finalement pas avec Yokanaan — ce n’est pas faute d’avoir essayé lors du sulfureux duo entre les deux. Mais elle aura du sexe avec lui une fois mort : un baiser.
Cette merveilleuse scène possède toute la sensualité morbide, repoussante et désespérée que dans notre imaginaire nous prêterions volontiers à la nécrophilie.
Croquis du décors de la création de Salomé à Dresde en 1905, par Emil Rieck.
Placée à la fin de l’opéra, comme un aboutissement et un sommet musical, une sorte de climax, telle la scène de l’immolation de Brunhilde (Crépuscule des Dieux, Wagner). Sauf que Brunhilde est censée incarner l’idée de sacrifice — si chère à Wagner, surtout si c’est un personnage féminin qui la prend en charge — alors que Salomé incarne le désir. Et le désir — surtout le désir féminin — est censé être « mal », c’est un péché, et en tant que tel il mène à l’hystérie et à la folie puis à la mort. Au moins dans le monde de l’opéra de répertoire.
En tant que « folie de mort », ce monologue est en quelque sorte héritier des grandes scènes de folie belcantistes du genre Luccia di Lammermoor (Donizetti/Cammarano) ou Anna Bolena (Donizetti/Romani). Sauf que dans le cas des opéras donizettiens, la femme folle est présentée comme victime, alors que chez Strauss on pourrait l’assimiler à un bourreau. Nonobstant, Salomé est esclave. Esclave de son désir. Son assassinat par Hérodes est presque inutile. Car elle est pratiquement morte avant que les lames des soldats ne la traversent. Luccia et Isolda meurent d’amour. Salomé meurt de désir. Nous devons donc au tandem Wilde-Strauss un des premiers exemples — si non le premier — de « délire de désir » dans l’opéra. Et de surcroît au féminin. C’est peut-être aussi que les préoccupations de Charcot puis de Freud pour l’hystérie ne sont pas si loin dans l’imaginaire occidental de 1900.
Richard Strauss, Salomé, scène finale, « Ich habe deinen mund geküsst », Malin Byström, Dutch National Opera & Ballet, Amsterdam, 2021. Frédéric Léolla
16 novembre 2024
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Lundi 18 Novembre, 2024 0:54