Jean-Marc Warszawski, 2024
Groupe Culture du Réseau salariat, Pour une sécurité sociale de la Culture. « Les cahiers du salariat », Éditions du Croquant, Vulaines-sur-Seine 2024 [312 p. ; ISBN 978-2-365-12430-7, 15 €].
L’économiste enrichi à la sociologie Bernard Friot milite en faveur d’un salaire à vie et à la qualification personnelle, ce qui n’a rien à voir avec le salaire dit universel, un rêve capitaliste genre RSA amélioré, ou emplois à 400 euros mensuels (sans sécurité sociale) généralisés en Allemagne.
Dix ans après avoir fondé l’Institut européen du salariat, il créa en 2011, le Réseau salariat, une association d’éducation populaire centrée sur les questions du salariat, s’appuyant sur le marxisme et l’utopie communiste.
Karl Marx a reconnu le bénéfice émancipateur du salariat pour le développement des forces productives (l’industrie en général), dans la liberté de passer un contrat entre employeur et employé, ce qui était impossible dans l’ancien régime des privilèges. Mais la liberté n’est pas l’égalité, et ce contrat est en fait un contrat d’assujettissement peu différent sur le fond des rapports moyenâgeux de sujet à seigneur : une protection contre un travail, ou plutôt contre une part de travail. Le travail ayant la qualité de produire plus de valeur qu’il en a lui-même. Marx a également résolu l’aporie contre laquelle tous les économistes de son temps aboutissaient quand il s’agissait d’évaluer la valeur du travail, en mettant en avant le concept de force de travail, elle évaluable, en ce qu’il faut pour la produire l’entretenir et la reproduire. Cette force de travail est donc liée avant tout au travailleur et non au travail lui-même.
Même si, au long de sa vie, la conception des rapports du salariat au travail et à la valeur a évolué chez le philosophe économiste, chez les progressistes, le salariat reste lié à l’idée d’un rapport de sujétion, au point que des organisations révolutionnaires du passé ont pu réclamer son abolition. Aujourd’hui ce sont les libéraux partisans de l’« ubérisation » de la société qui seraient sur le front de cette abolition.
Bernard Friot est marxiste, philosophe du mouvement, et d’une particularité de ce mouvement qui est la dialectique. Rien n’est éternel, tout objet se développant produit des contradictions qui finissent par l’annihiler, c’est une propriété de tout développement. Pour être évasivement philosophe, on peut dire que le présent produit du futur sur l’épuisement et la transformation du passé. C’est ce que Bernard Friot détecte dans l’évolution du salariat, qui serait porteur de nouvelles relations sociales et économiques. Il s’appuie sur la socialisation d’une partie du salaire par les impôts et surtout dans la réalisation de la Sécurité sociale et le réseau conventionné, qui est pour lui un coin de communisme à enfoncer.
Le salaire à vie et à la qualification nous semble une idée allant de soi dans son principe philosophique, d’autant que cela protègerait la force de travail qui est liée au travailleur et non pas à un poste de travail et couvrirait le travail « invisible » qui est très important chez les artistes, mais aussi dans le quotidien des études, de l’éducation des enfants, des tâches ménagères, qui sont du travail si on embauche cuisinier ou femme de ménage et ne le sont plus par enchantement quand on les accomplit par soi-même.
Mais un groupe de travailleurs de la culture, plutôt liés aux productions artistiques, s’est organisé au sein de Réseau salariat, pour transformer cette idée de salaire à vie et à la qualification en revendication immédiate et en remplacement progressif de l’intermittence en abaissant les nombres d’heures électives à 250 puis à zéro.
On ne peut résumer ce livre, verbatim de 10 séances d'un séminaire couvrant un champ étendu de situations, problématiques, réflexions, histoire, philosophie, sociologie, économie, état des lieux de la musique, du théâtre, des expositions, de la littérature, des arts graphiques, de l'enseignement artistique, et des procédures d’application, qui est en soi un vaste chantier dans un vaste chantier, incluant des revendications qualitatives quant à l’organisation du travail.
Comment évaluer la qualification et le salaire qui s’y rapporterait ? Une proposition est faite de trois niveaux de qualification, partant de 1 800 € net n’impôt à un plafond de 5 000 €. Il est évident que cette évaluation ne doit en aucun cas porter sur les choix esthétiques.
Il nous semble que l’on confond, sur cette question, la qualification avec le grade tel qu’il existe dans la fonction, publique. La qualification et un savoir-faire ou un ensemble de savoir-faire qui qualifient la force de travail bonifiée par l’expérience de l’ancienneté. C’est ce qu’on est capable de réaliser, ce que l’on sait faire. C’est cette qualification, ancienneté comprise qui donne accès à un grade. Si l’échelle de salaire proposée nous semble réaliste, la distribution des savoir-faire en trois grades ne nous le semble pas. Mais nous sommes d’accord sur le fait qu’une telle organisation n’est imaginable qu’à la condition, d’être gérée par les salariés eux-mêmes tant la « caisse de salaires » que la nomination des responsables des établissements conventionnés. En passant, notons l’aberration de la nomination des directions des théâtres nationaux par le gouvernement.
Puisque nous philosophons, nous préférons voir dans l’évolution décrite ici du salariat direct et indirect, la manifestation de contradictions (dialectiques), plutôt que du communisme dans le capitalisme, comme on dit ici, qui peut laisser croire à la possibilité d’une coexistence et d’un aménagement possibles.
Présentation publique à la Bourse du travail de Paris le 11 janvier 2025.
Réseau Salariat
Jean-Marc Warszawski
28 décembre 2024
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Dimanche 29 Décembre, 2024 17:28