musicologie

Teatro Lirico, Cagliari, 14-15 février 2024, Frédéric Léolla —

Nerone de Boito : un chef-d’œuvre à Cagliari

Nerone, Teatro Lirico de Cagliari. Photographie © Priamo Tolu.

Le Teatro Lirico de Cagliari a eu la chance (et le courage) de monter un chef d'oeuvre peu fréquenté, Nerone, d'Arrigo Boito.

Le Nerone de Boito est une œuvre très particulière. Boito y passa bien cinquante ans à la « parfaire » sans pour autant l’achever — du moins selon la thèse officielle, celle du chef Toscanini qui en dirigea la première posthume en 1924, avec les compléments de Smareglia et Tomasini. Œuvre très irrégulière (du fait même de sa si longue gestation) et à la fois très cohérente ; œuvre aussi méprisée que portée aux nues selon les différents musicologues ; œuvre qui eut un formidable succès lors de sa présentation au Théâtre de la Scala en 1924 et qui semble maintenant malaimée du public et des programmateurs, ce Nerone est devenu une rareté.

Tant et si bien que critiques et mélomanes curieux de tout se sont déplacés jusqu’à Cagliari pour assister à sa résurrection.

Le metteur en scène Fabio Ceresa promettait dans ses déclarations qu’il suivrait les indications scéniques de Boito — promesse qui est tenue dans ses grandes lignes : caractères sans transpositions, déroulement linéaire de l’action, décors et costumes évoquant en général l’Antiquité romaine (passons-lui quelques coquetteries de mise en scène comme le costume de Néron qui, malgré sa couleur pourpre, a la coupe d’un costume militaire dans la tradition du xixe siècle apr. J.-C., ou le ballon que manient les gladiateurs aux maillots de footballeurs, etc.),… Il est vrai pourtant que dans sa mise en scène le manque de respect de certaines indications peut rendre difficile par moments la compréhension (l’incendie du temple à la fin de l’acte II est dit par les personnages, mais non évoqué scéniquement) et que le peu de soin accordé à la direction d’acteurs peut peser sur le résultat final. Mais globalement le pari (qui pourtant n’était pas simple) est tenu.

Nerone, Teatro Lirico de Cagliari. Photographie © Priamo Tolu.

Et musicalement, il tient du miracle d’avoir pu présenter deux distributions plus qu’honorables pour ce chef d’oeuvre dont la partition est parsemée de difficultés pour tous les interprètes. À commencer par le rôle-titre. Autant Mikheil Sheshaberidze que Konstanin Kipiani lancent des aigus so,nores et bien assurés. Le deuxième a parfois un peu plus de mal à surmonter la masse orchestrale (et ça se comprend) mais il est aussi un chouilla plus théâtral. Comme Simon Mago, Franco Vassallo fait une incarnation tout à fait remarquable, et Abramo Rosalen une prestation notable. Roberto Frontali incarne un puissant Fanuel, plus à l’aise dans sa relation à l’orchestre que Leon Kim qui pourtant arrive à de beaux moments de lyrisme le lendemain dans le même personnage. Encore remarquable l’Asteria de Valentina Boi, avec des aigus puissants et une belle vision du personnage, alors que, dans le même rôle, Rachele Stanisci se sent moins à l’aise pour affronter l’orchestre tout en montrant une belle couleur de voix. Si Mariangela Marini est une très bonne Rubria dans la deuxième distribution, dans la première Deniz Uzun est une vraie découverte de par sa puissance, la beauté de son timbre et la douceur de son interprétation. Cela en plus de très bons coprimaires, à commencer par l’excellent Gobrias de Vassily Solodky.

Si à cela nous ajoutons un chœur puissant, uniforme, expressif et très à l’aise dans les notes extrêmes, ainsi qu’un orchestre raffiné et très attentif aux nombreux détails de la partition, mené de main d’orfèvre par Francesco Cilluffo, vous comprendrez l’enthousiasme des mélomanes lors des représentations en Sardaigne de ce chef-d’œuvre si particulier.

Bravo donc à Cagliari et à son théâtre pour cet exploit.

Frédéric Léolla
14-15 février 2024

Franco Vassallo (Simon Mago) et Roberto Frontali (Fanuèl). © Priamo Tolu.

Cagliari, mercredi 14 et jeudi 15 février 2024. Teatro Lirico di Cagliari. Nerone, tragédie en quatre. Musique et livret, Arrigo Boito. Mise en scène, Fabio Ceresa. Décors, Tiziano Santi. assistant décorateur, Veronica Lattuada. Costumes de Claudia Pernigotti. Éclairages, Daniele Naldi. Chorégraphies, Mattia Agatiello. Avec Mikheil Sheshaberidze/Konsntanin Kipiani (Nerone), Franco Vassallo/Abramo Rosalen (Simon Mago), Roberto Frontali/Leon Kim (Fanuel), Valentina Boi/Rachele Stanisci (Asteria), Deniz Uzun/Mariangela Marini (Rubria), Dongho Kim/Allessandro Abis (Tigellino), Vassily Solodky (Gobrias), Antonino Giacobbe (Dositeo/l’oracolo), Natalia Gavrilan (Perside/Cerinto/prima voce di donna), Fiorenzo Tornincasa / Marco Frigieri (il tempiere/primo viandante/ voce di tenore), Nicola Ebau (secondo viandante/lo schiavo/ voce di basso), Francesca Zanatta (seconda voce di donna), Luana Spinola (terza voce di donna). Orchestra e Coro del Teatro Lirico di Cagliari. Chef de chœur, Giovani Andreolli. Direction musicale, Francesco Cilluffo.


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Mercredi 28 Février, 2024 17:06