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Musique et violence dans le cinéma européen : effets, topiques et intertextualité (1970- 2000)

7-9 novembre 2024, Paris
Université Sorbonne Nouvelle,
Maison de la Recherche

Si la violence se manifeste quotidiennement sur les écrans à l’ère du numérique et d’internet, sa présence médiatique s’est en réalité affirmée depuis cinquante ans. Ce phénomène entre en résonance avec les fictions audiovisuelles qui sont un vecteur privilégié de représentations socio-culturelles. Dans ce contexte, la musique et le son s’apparentent à des catalyseurs émotionnels1 qui ont participé à accentuer ou au contraire à nuancer la monstration de la violence selon une pluralité de codes. A partir de la fin années 1960, les modes de figuration cinématographiques de la violence se transforment profondément. En 1968, un système de classification des œuvres se substitue ainsi au Code Hays en vigueur à Hollywood2. La place accordée à la violence, qui se manifeste alors sur les écrans d’une manière plus explicite – on commence à parler « d’ultraviolence » – devient dans le dernier quart du 20e siècle un sujet complexe dont la compréhension varie dès lors en fonction de perspectives distinctes les unes des autres. L’image de l’agression physique a pu ainsi être interprétée aussi bien comme le signe d’une exploitation outrancière et racoleuse ; comme un geste radical, provocateur et transgressif ; comme le nécessaire dévoilement d’une sordide réalité ; comme un spectacle aux vertus cathartiques ; ou même comme un simple motif d’ordre esthétique ou symbolique, emblématique du style « post-moderne » alors en vogue3. Les trois décennies envisagées sont par ailleurs caractérisées par des évolutions technologiques majeures de l’avènement du dolby jusqu’aux infrabasses de plus en plus immersives4 en passant par les techniques de bruitage, la généralisation du numérique dans les années 1990 et par la standardisation des drones, générateurs de tension au début des années 2000.

Cette question est au centre du projet ANR Muviscreen 2024-2027, « Représentations musico-sonores de la violence à l’écran. Résonances Hollywood/Europe (1970-2000) », qui associe des musicologues et des spécialistes de cinéma des universités de Rouen, Sorbonne Nouvelle et Lyon 2. Son objectif est d’identifier des topoï dans l’accompagnement musico- sonore (musique, bruit, voix, design sonore) de la violence à l’écran à travers trois axes majeurs : exacerbation, distanciation et intériorisation. Cet apport typologique inédit vise à stimuler l’analyse d’un corpus de cinéma encore très peu étudié sous l’angle sonore. Dans la littérature consacrée à la musique de film, autant il existe des écrits centrés sur les grammaires musicales spécifiques à certains courants5 ou à certains genres6, autant la question de la représentation de la violence n’a été que rarement abordée, au détour de certains chapitres7, ou dans des écrits consacrés à des cinéastes8, voire à des séquences célèbres9. Le travail sur les techniques du son au cinéma et les analyses poussées des éléments musico-sonores déboucheront sur de nouvelles propositions théoriques permettant de comprendre comment la violence fonctionne dans les films.

En mobilisant des approches historiques, esthétiques, analytiques et techniques, on éprouvera comment ces trois positionnements narratifs musico-filmiques, dont on n’exclut pas la porosité ni les entrelacs des différents registres, évoluent dans des proportions diverses tout au long de la période étudiée, en fonction de nombreux paramètres : le contexte socio-politique, la technologie, les courants dominants, les genres cinématographiques, les générations de réalisateurs et de compositeurs, ou encore l’émergence de nouveaux styles musicaux. Dans une démarche comparative, on examinera un corpus s’inscrivant dans une circulation Hollywood/Europe et comprenant autant des exemples emblématiques que des films moins analysés.

Ce premier colloque, « Musique et violence dans le cinéma européen : effets, topiques et intertextualité (1970-2000) », d’une durée de trois jours, est consacré à la contextualisation et à une réflexion critique sur les enjeux du programme. Les études de cas présentées permettront de développer des hypothèses sur l’importance des évolutions historiques, culturelles et techniques pour les phénomènes constatés ; une première périodisation pourra être proposée en dégageant des moments charnières et en montrant l’importance de films et de séquences emblématiques.
Il s’agira de contribuer à l’établissement d’une typologie des figures musico-filmiques de la violence au cinéma en se fondant sur l’identification des langages ciné-musicologiques, comme sur celle des stratégies compositionnelles. Ce colloque vise par ailleurs à mettre l’accent sur des questions liées à l’histoire culturelle des rapports entre musique et cinéma. Il se concentrera sur la manière dont la violence peut découler au cinéma de la présence d’une musique préexistante. Que les reprises de morceaux soient diégétiques ou non, leur mise en rapport avec la brutalité des situations représentées à l’écran provoque des effets qui oscillent entre les trois grandes modalités étudiées dans le projet. Nombre de séquences restées emblématiques pour leur caractère à la fois dérangeant et agressif accordent un rôle crucial à des  œuvres  de  répertoire  (classique,  pop,  rock…).  La  représentation  d’une  écoute

« appareillée » (radio, disque) y pointe l’importance des techniques dans l’imaginaire contemporain de la violence.

Les propositions de communication devront concerner des objets s’inscrivant dans la période ciblée (1970-2000) et porter prioritairement sur des productions européennes. Les films américains pourront constituer un corpus comparatif d’étude privilégié car ceux-ci s’inscrivent fortement dans une dynamique d’interaction avec les œuvres européennes. À travers l’analyse de la musique originale comme de la reprise de morceaux préexistants, les trois axes principaux exacerbation, distanciation, intériorisation, constitueront les pistes à privilégier :

En premier lieu, l’exacerbation consiste à accentuer, à des degrés divers, la violence montrée à l’écran par des figures musicales et sonores brutales, dans un geste spectaculaire d’amplification. Dans ce cas, la musique peut aussi jouer le rôle d’effet d’annonce ou encore relayer ce que l’image ne montre pas. L’atonalité, la musique électro-acoustique et électronique, le psychédélisme, le rock progressif, ont favorisé l’émergence de nouveaux styles de bandes originales telles La Horse (P. Granier-Deferre, 1970), Le Serpent (H. Verneuil, 1972), Les Noces rouges (C. Chabrol, 1973), Massacre à la tronçonneuse (T. Hooper, 1974), Peur sur la ville (H. Verneuil, 1975), Suspiria (D. Argento, 1977), Halloween (J. Carpenter, 1978), Tesis (Amenabar, 1996), Funny Games (M. Haneke, 1997).

La musique peut ensuite être employée au cinéma dans le but d’instaurer un phénomène de distanciation, suggérant une posture réflexive de la part du spectateur. De l’ironie au contre- emploi de nombreuses séquences - pouvant inclure une intertextualité comme mise en abîme référencée ou parodique - sont fondées sur ce mécanisme : les traques sans merci d’un tueur à gage dans La Cité de la violence (S. Sollima, 1970), la chambre froide dans laquelle s’alignent des cadavres dans Cinque bambole per la luna d’agosto (M. Bava, 1970), le viol dans Orange mécanique (S. Kubrick, 1971), l’attaque en hélicoptère dans Apocalypse Now (F.F. Coppola, 1979), la torture dans Reservoir Dogs (Q. Tarantino, 1992), le meurtrier masqué au début de Scream (W. Craven, 1996), les effets de la drogue à la fin de Requiem for a dream (D. Aronofsky, 2000), le début, antéchronologique, du film Irréversible (Noé, 2002).

En se focalisant sur un personnage lors d’une scène violente, la musique et/ou le design sonore produisent enfin un effet d’intériorisation qui fait basculer le film dans une dimension subjective et psychologique. Notre perception se trouve alors orientée vers une réalité alternative, reliant la violence - frontale ou atténuée - à la sphère intime (et ce, que l’on soit du point de vue du bourreau ou de la victime). Ce principe s’exprime dans plusieurs scènes de Marathon Man (J. Schlesinger, 1976), Scarface (B. De Palma, 1983), Léon (L. Besson, 1994), La Ligne Rouge (T. Malick, 1998), Fight Club (D. Fincher, 1999), Dancer in the Dark (Lars Von Trier, 2000), Trouble Every Day (C. Denis, 2001), Darkness (J. Balagueró, 2002).

Dans le cadre de l’ANR, deux autres colloques seront dédiés à la question des genres cinématographiques et aux enjeux techniques :

  1. « Musique et violence au cinéma, à l'épreuve des genres » - Cerisy-URN (Carayol, Guido, Rossi, Barnier), en Juillet 2025.
  2. « Son et violence au cinéma : articulations technologiques »– Lyon 2, Passages XX- XXI, (Martin Barnier, Chloé Huvet et Jérôme Rossi), en mars 2026.

Pour    ce    premier     colloque,     les    propositions    de    communication,     de    300    mots environ, accompagnées d’une courte notice bibliographique, sont à envoyer à Cécile Carayol et Laurent Guido pour le 20 avril 2024.

Colloque organisé par Cécile Carayol (Université Rouen Normandie, CEREdI/IRCAV) et Laurent Guido (Université Sorbonne Nouvelle, IRCAV).

Comité scientifique : Martin Barnier (Université Lyon 2), Richard Bégin (Université de Montréal), Cécile Carayol (Université de Rouen), Riccardo Fassone (Università di Torino), Gérôme Guibert (Université Sorbonne Nouvelle) Laurent Guido (Université Sorbonne Nouvelle), Steve K. Halfyard (The Royal Conservatoire of Scotland), Chloé Huvet (Université Paris Saclay) Angel Quintana (Universitat de Girona) Jérôme Rossi (Université Lyon 2), Catherine Rudent (Université Sorbonne Nouvelle.)

Notes

1 Martin Barnier, Le Corff, Isabelle, Moussaoui, Nedjma (dir.), Penser les émotions. Cinémas, séries, nouvelles images, Paris, L’Harmattan, 2016.

2 Jean-Baptiste Thoret, Le Cinéma américain des années 1970, Paris, Les Éditions de l’étoile, Cahiers du cinéma, 2006 ; Olivier Caïra, Hollywood face à la censure. Discipline industrielle et innovation technologique, Paris, CNRS Éditions, 2005.

3 Asbjørn, Grønstad (dir.), Transfigurations: Violence, Death and Masculinity in American Cinema, Amsterdam, AmsterdamUniversity Press 2008 ; Richard Bégin, Roy, Lucie et Perron, Bernard (dir.), Figures de violence, Paris, L’Harmattan, coll. « Esthétiques », 2012, p. 93-102 ; Stephen Prince (dir.), Screening Violence, New Brunswick, NJ, Rutgers University Press, 2000.

4 Chloé Huvet (dir.) Création musicale et sonore dans les blockbusters de Remote Control, Revue musicale, OICRM, vol. 5, n°2, nov. 2018.

5 Kathryn Kalinak, Settling The Score, Music and the Classical Hollywood Film, Wisconsin Press, 1992 ; Royal S. Brown, Overtones and Undertones: Reading Film Music, University of California Press, 1994 ; Cécile Carayol, Une musique pour l’image, Presses Universitaires de Rennes, 2012 ; Chloé Huvet, Composer pour l’image à l’ère numérique Star Wars, Paris, Vrin, 2022.

6 Janet K. Halfyard (dir.), The Music of fantasy cinema, Sheffield/Bristol, Equinox, 2014 ; Philip Hayward (dir.), Off the Planet. Music, Sound and Science Fiction Cinema, Bloomington, John Libbey, 2004 ; Philip Hayward (dir.), Terror Tracks. Music, Sound and Horror Cinéma, Londres, Equinox, 2009 ; Lerner, Neil (dir.), Music in the horror film, Listening to fear, New York, Routledge, 2010.

7 Cécile Carayol, « Violence latente de la musique dans le film de guerre », Muriel Joubert et Denis Le Touzé (dir.), La Violence en musique, coll. Mélotonia, vol. 4, Presses Universitaires de Lyon, 2022, p. 199-229 ; Laurent Guido, "Grooves et grincements, le giallo selon Morricone", Ennio Morricone : Et pour quelques notes de plus, v C. Huvet (dir.), Éditions Universitaires de Dijon, 2022.

8 Lisa Coulthard, « Torture Tunes: Tarantino, Popular Music, and New Hollywood Ultraviolence », Music and the Moving Image, vol. 2, n° 2, été 2009, p. 1-6 ; Elsie Walker, Hearing Haneke, The Sound Tracks of a Radical Auteur, Oxford University Press, 2018 ; Jérôme Rossi, « Émergence et affirmation d’une esthétique morriconienne du polar chez Henri Verneuil », Ennio Morricone : Et pour quelques notes de plus, op. cit.

9 Peter Höyng, « Ambiguities of Violence in Beethoven's Ninth through the Eyes of Stanley Kubrick's "A Clockwork Orange" », The German Quarterly , vol. 84, n° 2, printemps 2011, p. 159-176.

 


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Dimanche 18 Février, 2024