18 janvier 2024 — Jean-Marc Warszawski
Représentation du 12 janvier 2024.
Mary Queen of Scots, Oper Leipzig, Mary (Nicole Chevalier). Photographie © Tom Schultze.
Son titre ne ment pas, l’opéra de Thea Musgrave, paroles et musique, créé au festival d’Édimbourg en 1977, est inspiré par la biographie de Marie Stewart francisée Stuart, sacrée reine d’Écosse dès le berceau, aussi héritière du trône d’Angleterre. Elle fut éduquée dans le raffinement de la cour de François Ier, épouse son successeur, François II, qui mourut peu après avoir posé les fesses sur le trône de France. Veuve (surtout sans descendance), Marie la catholique regagna l’Écosse... Ici avec un commando d’activistes (de quoi ?) mégaphone en mains, afin d’y assumer son règne « légitime ».
C’est un sacré guêpier cette cour des Lords, agitée pas les querelles de pouvoir et de religion, c’est même je t’aime moi non plus avec James, son demi-frère illégitime, jusqu’alors régent, qui pense régler le problème en assassinant le cardinal Beaton (Randall Jakobsh), conseiller politique de la reine. Cette dernière, la chair est faible, tombe amoureuse du bon à rien, ivrogne, détesté de tous, Lord Darnley, un cousin, le seul blondinet de l’histoire. Mais le peuple, rangé en chœur des deux côtés des places d’orchestre, en a décidé, on veut la reine, James, casse-toi.
Mary Queen of Scots, Oper Leipzig, Mary (Nicole Chevalier), James Stewart (Franz Xaver Schlecht). Photographie © Tom Schultze.
Le décor est sobre, noir comme un roman noir et les costumes. Trois étages frontaux de gradins dominés par le trône doré. Une architecture sophistiquée à base de tables permet l’ascension difficile vers le trône (mais on y risque aussi de glisser vers le bas comme d’un toboggan). Pourquoi des tables ? Peut-être parce que ce meuble réunit la famille, les apôtres, les négociateurs, les amis et que la mésentente et la haine les rendent inutiles et les détournent de leur usage convivial.
À ce propos, l’Opéra de Leipzig adhère au mouvement des institutions artistiques et culturelles d’Allemagne pour un impact climatique neutre. Il recycle costumes et décors. Manquant de tables, il a fait appel aux Leipziger et Leipzigerinen, en remettant deux billets d'entrée par table offerte.
Nous aimons aller au concert, à l’expo, au livre, au cinoche, au spectacle, les poches vides et sans billes, pour la nécessaire découverte, une œuvre doit être sa propre justification. La mode des avant-concerts et autres « clefs d’écoute » sont des fadaises. C’est après avoir été confronté au sujet qu’on a de la matière à jeter en pâture aux neurones. Mais là, ce fut une erreur, nous avons souffert du premier acte.
Mary Queen of Scots, Oper Leipzig, Mary (Nicole Chevalier), Henry Start, Lord Darnley (Rupert Charlesworth). Photographie © Tom Schultze.
Nous l’avons trouvé scéniquement statique, en partie du fait des Lords, vêtus uniformément d'une hybridation de soutane et de kilt, maquillés genre « Nuit des morts-vivants », le crâne dégarni ne gardant qu’une couronne de longs cheveux en filasse, une indistinction individuelle rendant l’identification des personnages principaux, assez nombreux, difficile, la traduction du texte anglais surtitré en Allemand au-dessus de l’ouverture de scène n’étant pas d’une grande aide, un texte au demeurant assez plat.
Cette impression tient aussi à une certaine monotonie due à l’absence d’ariosos au profit d’un récitatif chantant et chantant parlé (très beau au demeurant) continu, nous privant de la distinction entre le récitatif de l’action et de l’arioso de l’introspection. On est plutôt ici dans une taille de caractères entiers, plutôt noir-blanc, bipolaires, que dans les ambiguïtés existentielles qui fondent les évolutions psychologiques.
Mary Queen of Scots, Oper Leipzig, Henry Start, Lord Darnley (Rupert Charlesworth), Mary (Nicole Chevalier),. Photographie © Tom Schultze.
Ce premier acte a dû donner du fil à retordre à Ilaria Lanzino, la metteuse en scène, pour animer un peu tout cela, et tout cela ne nous semble pas très réussi. Les mouvements de peur ou d’effroi, tant individuels que collectifs nous ont semblé un peu amateurs, manquant de direction d’acteurs, comme les déplacements collectifs manquant de chorégraphie. Ce premier acte pose toutefois des images fortes qui prendront tout leur sens par la suite, mais qui semblent là peu cohérentes entre elles, et parfois un peu datées, comme ce groupe de grotesques aux nez-phallus, ou l’envers du décor dévoilé par le plateau tournant, équipé d’une cuvette de WC. Un peu basique.
Enfin ce premier acte pose une atmosphère new wave – punk – gothique prisée par les films « no future » américains (les Lords peuvent aussi faire penser à des bikers gothiques).
Dès les second et troisième actes, les choses bougent, s’animent, le drame se noue, en une montée continue au climax du dénouement. Entre fausses amitiés, assassinats, trahisons, querelles religieuses, viol. On comprend que la mise en scène, en fin de compte thématisée, ne pouvait pas brûler les étapes et devait garder de quoi continuellement développer et gagner en énergie avec des effets surprenants, ayant provoqué des « oh ! » estomaqués dans la salle.
L’orchestre, en tension permanente accentue, élargit les différents sentiments dramatiques, par des interventions variées à mille facettes colorées, exploitant de nombreuses textures orchestrales, dans une partition « contemporaine », moderne sans être avant-gardiste ni passéiste, très sophistiquée, chatoyante, grand art d'orchestration, qui ne fait pas l’impasse sur les citations explicites du passé : plain-chant, cloches, sonneries royales ou militaires. C’est en fait une musique de conception assez cinématographique.
Mary Queen of Scots, Oper Leipzig, Mary (Nicole Chevalier), James Hepburn (Sven Hjöleifsson) Photographie © Tom Schultze.
Musicalement on est dans l’exception, avec l’orchestre du Gewandhaus, aussi extraordinaire à l’opéra que dans sa maison, de l’autre côté de la place, Nicole Chevalier, la reine, est royale dans ce rôle exténuant, comme tous les protagonistes, dont plusieurs sont issus du chœur de l’Opéra de Leipzig, lui-même de tout premier ordre. Ces deux actes nous ont paru aussi courts que le premier nous a semblé long, peut-être pour n’y avoir pas assez porté attention, mais aussi parce que l’histoire historique a laissé place à celle des passions.
Le commando qui au premier acte ramène Marie Stuart à son trône était peut-être celui d’un commando féministe, face au machisme des grotesques aux nez-phallus, eux-mêmes pouvant anticiper le viol, très réaliste sur scène, de Marie Stuart par Bothwell. Les hommes ne sont pas fiables, et Marie affronte autant de soutiens qui deviennent autant des traîtres, autant d’amis qui sont des ennemis. Ce qui amène peut-être l’ambiguïté entre recherche de soutiens et recherche de souteneurs, entre reine et prostituée. Une idée qui nous convient parfaitement pour illustrer l’actuel état d’effondrement du gouvernement français.
Historiquement, on s’en fiche un peu, Marie Stuart est morte bien après les faits relatés par cet opéra, mais il est assez curieux d’avoir fait intervenir le peuple pour la porter au pouvoir et pour la mettre à mort. Un peuple qui en réalité comptait pour du beurre. Mais cette conception américaine un peu Walt-Disney de l’histoire nous a fourni deux très beaux moments de musique et d’opéra.
Encore deux repésentations les 28 janvier et 11 février.
Jean-Marc Warszawski
18 janvier 2024
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Mardi 30 Janvier, 2024 14:54