5 août 2024, Jean-Marc Warszawski.
Benjamin Britten, Julia Wischniewski (soprano), Quatuor Béla, Frédéric Aurier, Julien Dieudegard, Julian Boutin, Luc Debreuil, Quatuors nos 1, 2, 3, Les Illuminations. Le Palais des dégustateurs 2024 (2 v., PDD 035). Enregistré les 25-27 janvier 2020 et les 27-28 janvier 2022, à La Courroie.
Dès ses premiers sons, il y a environ seize ans, le Quatuor Béla s’est affirmé comme un ensemble des plus raffinés musicalement, aussi par un répertoire exigeant, ouvert aux originalités et collaborations inventives et hors académisme. Il nous avait alors convaincu et enchanté avec la collaboration d’André Marcœur (et ses frères) le poète déjanté poste soixante-huitard, aux mots si méticuleux, ou dans des œuvres de George Crumb (du grand art) et de György Ligeti (une merveille)… Depuis, il n’a pas dérogé au perfectionnisme et à la diversité de son répertoire, une carrière qu’une douzaine d’enregistrements illustre à peine. Les trois quatuors de Benjamin Britten qu’il vient d’enregistrer, avec en prime Les Illuminations, arrangées pour quatuor à cordes (Frédéric Aurier), ne dérogent pas à la règle de peaufinage qui est la marque de la maison.On dit que Benjamin Britten est le premier compositeur anglais après Purcell, ou plutôt qu’entre ces deux-là, il n’y a pas eu de musique anglaise. Ce n’est pas tout à fait vrai, même s’il semble que les milieux mélomanes anglais aient plutôt mené une politique d’invitations d’artistes étrangers plutôt que susciter la création locale. En tout cas à la fin du xixe siècle et début xxe, Benjamin Britten n’est pas le seul anglais à avoir accroché les oreilles mélomanes, il y eut également Edward Elgar, Ralph Vaughan Williams, Gustav Holst, Frank Bridge (un des professeurs de Britten).
Il est surtout connu pour le brio de sa musique vocale (The Canticles, War Requiem...) et ses opéras, Peter Grimes, Billy Budd, A Midsummer Night's Dream, Death in Venice… Beaucoup moins pour sa musique de chambre, d’où un intérêt supplémentaire pour cet enregistrement, notamment pour le premier quatuor, moins connu que le déjà peu connu, commandé par la mécène Elizabeth Sprague Cooldige et créé en septembre 1941 à Los Angeles. Premier quatuor numéroté opus 25, il est tout de même l’aboutissement de plusieurs quatuors de jeunesse et un quatuor en ré majeur de 1930, sans numéro d’opus, que Britten révisa et publia peu avant sa mort.
Cet opus 25 n’a pas l’expressivité quelque peu romantique et émotive, les interrelations entre les voix aussi variées et ambitieuses que des deux quatuors suivants. D’un rendu plus abstrait, il n’en est pas moins d’une structure solidement classique et thématique et d’une écriture habile et minutieuse, d’une beauté quasi hyaline. Il est plus purement instrumental que les suivants quant à eux plus dramatiquement d’inspiration vocale. Mais le son Britten est là jusqu’au troisième quatuor de 1975, trente-quatre ans plus tard, commandé par le quatuor Amadeus et créé le 19 décembre 1976 à Aldeburgh, entre les deux le quatuor opus 36 de 1945, pour la commémoration du deux cent cinquantième anniversaire de la mort d’Henry Purcell, créé par le quatuor Zorian le 1er novembre 1945 à Londres.
On aime trouver chez Britten des relations au passé, au cantus firmus du plain-chant, surtout à Purcell, comme si la musique du xxe siècle ne pouvait trouver d’expression poétique qu'en puisant dans le passé.
Le quatuor de Britten est plutôt orchestral et concerto avec violon, parfois le violoncelle (3e mouvement du second quatuor), solos qui peuvent être a cappella donnant une impression de solitude anxieuse. Un sentiment inquiet, élégiaque un peu surnaturel renforcé par de longues pédales dissonantes de préférence dans les aigus (et les harmoniques), comme au début du premier quatuor. Mais il peut être aussi brillamment concertant de toutes ses voix (3e mouvement du second quatuor).
La conclusion de cet album semble presque couler de source, d'orchestre à cordes à quatuor, pour le cycle de dix courtes mélodies, sur des poèmes en prose et vers libres extraits des Illuminations d'Arthur Rimbaud, avec le renfort de la soprano Julia Wischniewski dont on aurait aimé une articulation plus claire et peut être plus de diversité dans les intentions dramatiques selon les poèmes, plutôt d'un quasi-permanent climax.
Voilà une musique et une interprétation qui ont cette espèce de pureté et d’évidence sans habillage de tout ce qu’on trouve beau.
Jean-Marc Warszawski
5 août 2024
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