musicologie

François Buhler 27 janvier 2024 — Histoire de la romance

La romance en Russie, des origines à 1850

Contrairement à ce que nous avons fait pour l’Italie, nous ne parlerons ici que des débuts de la romance et de la chanson russes, soit d’une période assez largement ignorée qui s’étend de la fin du xviiie siècle au milieu du xixe. Dans le domaine des arts comme dans celui des sciences, tout commence en Russie avec la fondation par Pierre le Grand de Saint-Pétersbourg le 16 / 27 mai 1703, dans le but de sortir le pays de ce qu’il appelait la « barbarie asiatique » et de combler le retard sur l’Occident en ouvrant « une fenêtre sur l’Europe », et en premier lieu sur la France de Louis xiv.

Sous son règne, et bien qu’il ne fût guère musicien lui-même, les chansons d’amour, victimes autrefois des désignations les plus dures et fortement réprimées sont désormais tolérées, un changement qui constitue un encouragement à la création. Les chansons reprennent la tradition orale russe, ses genres, son système stylistique, ses images, et peu à peu y ajoutent la poétique nouvelle du lyrisme européen. La romance russe provient donc autant du chant populaire russe et de la transformation progressive du chant partessien et du kant sous l’influence générale de la musique occidentale que de l’adoption d’un genre déjà presque parvenu à son ultime degré d’évolution en France, en Italie et en Allemagne, et transporté directement en Russie après ses transformations successives dans ses pays d’origine.

Elle garde certes à son apparition les principales caractéristiques du genre en Europe de l’Ouest mais ne tombe pas sur un terrain totalement vierge. Malgré l’engouement pour la romance occidentale en Russie et son acclimatation rapide, une différence subsistera toujours avec l’Occident et il n’est pas exagéré de dire que c’est d’elle que viendra en grande partie l’originalité de la romance russe : la recherche et l’harmonisation de chansons populaires n’existent quasiment pas en Europe de l’Ouest avant la fin du xixe siècle mais en Russie ce phénomène d’aller-retour et d’union étroite entre le folklore et la romance remonte à la seconde moitié du xviiie siècle déjà, soit aux sources mêmes de la romance européenne. Le début de la collecte du folklore et l’apparition de la romance sont donc presque contemporains et poursuivront leur marche commune sans interruption pendant tout le xixe siècle.

Grigori Nikolaïevitch Teplov (Pskov, 20 novembre / 1er décembre 1717 – Saint-Pétersbourg, 2 / 13 avril 1779).

Une personnalité dominante ressort du grand nombre de précurseurs dont les noms sont aujourd’hui bien oubliés, celle de Grigori Nikolaïevitch Teplov (Pskov, 20 novembre / 1er décembre 1717 – Saint-Pétersbourg, 2 / 13 avril 1779) qui, non content d’être membre de l’Académie des sciences et de celle des beaux-arts, philosophe, traducteur, administrateur, claveciniste, violoniste et compositeur amateur, se fait l’auteur en 1759 du tout premier recueil de chansons imprimé en Russie intitulé Repos entre deux occupations, ou Recueil de chansons avec des mélodies adaptées à trois voix qui connaît plusieurs réimpressions avant la fin du siècle.Au début du xxe siècle le musicologue Sergueï Boulitch lui rendra hommage en le baptisant « l’arrière-grand-père de la romance russe » par référence à Nikolaï Alexeïevitch Titov1 qu’il avait déjà surnommé le « grand-père de la romance russe ». Quant à l’écrivain Mikhaïl Dmitrievitch Tchoulkov (Moscou, v. 1743 – Moscou, 24 octobre / 4 novembre 1792), il peut être considéré comme le premier grand collecteur de chants populaires grâce à son Recueil de chants populaires écrit en collaboration avec Mikhaïl Ivanovitch Popov (1742-v. 1790), dont les quatre volumes s’échelonnent de 1770 à 1774 mais qui ne contient encore que des textes sans musique. Au début de la décennie suivante ce grand précurseur se signale encore à notre attention en faisant paraître un gigantesque recueil de Contes russes.

On le voit, l’image que beaucoup de Français se font encore de l’apparition de la romance en Russie n’est que très partiellement correcte. On aime à s’imaginer que dans une cour qui parle français, dans une société encore beaucoup plus figée dans l’absolutisme et dont la véritable révolution n’éclate que plus d’un siècle après la Révolution française, on chante les romances françaises pendant un bon demi-siècle au moins comme on le fait à Paris et sans y changer une note, et qu’il en va de même lors de l’importation de l’opéra-comique. On aime à croire aussi qu’on ne demande aux artistes étrangers, surtout allemands et italiens, que l’on recrute par centaines, qu’une initiation à l’art qu’ils pratiquent dans leur pays d’origine que l’on jouera toujours leurs œuvres sans jamais les adapter. Mais si effectivement tous les aspects techniques de ces nouvelles formes d’art, les genres, les formes, les styles, les techniques passent en Russie et y sont souvent adoptés sans rejets, dès le début pourtant ils créent une émulation parmi les Russes dans toutes les couches de la société de sorte que l’adoption devient vite adaptation et l’implantation, acclimatation. Le processus, beaucoup plus rapide qu’on ne le croit généralement, n’est considéré comme lent que parce qu’il faut un certain temps pour qu’il apparaisse en pleine lumière en Europe et que nous-mêmes le voyons aujourd’hui dans un passé très lointain où quelques années de plus ou de moins ne nous paraissent pas modifier le tableau d’ensemble.

Mais la nécessité d’une traduction de la romance française se fera rapidement sentir et qui dit traduction dans la première moitié du xixe siècle dit le plus souvent imitation ou adaptation. Il ne s’agit pas de la fameuse formule traduttore-traditore mais de traductions volontairement infidèles et c’est ainsi qu’on les nomme aujourd’hui. On s’en rendra bien compte lors de l’émergence de la ballade romantique allemande : l’écrivain Vassili Аndreïevitch Joukovski (1783-1852), surnommé balladnik, le premier et le plus grand maître de la ballade russe, en écrit trente-neuf qui ne sont toutes sauf cinq2 que des adaptations des modèles des plus grands chefs-d’œuvre allemands, à commencer par la fameuse Lenore de Bürger de 1773 dont il tire sa Svetlana et sa Lioudmila. Ces romances et ces ballades importées portent, dès qu’elles sont imitées ou « traduites » le nom de « chansons russes », une appellation qui se justifie puisque l’on y inclut des éléments du folklore russe et/ou qu’elles sont écrites par un compositeur russe, même si c’est à l’imitation des Français ou des Allemands. Car comme nous l’avons signalé ci-dessus, dans l’aristocratie où la romance est d’abord introduite, celle-ci prend immédiatement racine dans le riche terreau des traditions folkloriques, réalise sa jonction avec la chanson populaire, se répand dans toutes les couches de la société et devient par là même un des genres essentiels de la lyrique vocale qui continue à se développer et à prospérer pendant tout le xixe siècle sans connaître le changement de cap relativement brusque qui se produit en France vers 1839-1840 lorsque la mélodie, un genre beaucoup plus développé, plus savant, traité désormais par les plus grands compositeurs mais interprété à ses débuts lui aussi le plus souvent dans les salons, prend définitivement la place de la romance.

C’est que si la société russe est figée dans l’absolutisme et très cloisonnée par les quatorze degrés de la Table des rangs imposée par l’oukase de Pierre le Grand du 13 janvier 1722, paradoxalement, les serfs montrant de bonne heure des dispositions pour les arts se voient parfois donner la possibilité d’étudier, même au-delà des frontières pour quelques-uns d’entre eux ; ceux qui par la suite font preuve de leur talent peuvent même obtenir leur liberté en étant acceptés dans la petite bourgeoisie, ce qui malheureusement n’entraîne pas toujours une amélioration de leur situation.

En Russie, il arrive donc non seulement que des serfs écrivent des romances pour l’aristocratie, mais aussi, très fréquemment, que des aristocrates recueillent des chansons populaires russes et en « colorent » les romances dont ils écrivent le texte ou la musique de sorte que le non-initié se perd vite dans le maquis terminologique d’expressions telles que « chanson savante », « romance populaire » ou « semi-populaire », « folklore citadin » ou « semi-citadin », qu’il serait du reste plus juste d’appeler « semi-folklore urbain » puisqu’il s’inspire souvent du folklore sans y appartenir. Impossible, donc, de se reposer sur la simplicité et la fiabilité de notre distinction entre la chanson folklorique, sans âge et sans auteur, et la romance créée à une date précise par un compositeur identifiable. De plus, un phénomène d’aller-retour d’un genre à l’autre s’installe : une pièce de folklore citadin, parfois définie comme « une chanson populaire qui s’est accommodée à l’environnement urbain » grâce par exemple à sa mise en musique par un compositeur de métier, peut être chantée dans les salons de la noblesse et même à la Cour ; mais le plus grand succès qu’elle peut obtenir est d’être ensuite à nouveau promue « chanson folklorique » et de réintégrer le répertoire populaire par le biais des arrangeurs des grandes chorales, tziganes par exemple, ce qui induit de nouvelles confusions au sujet de leur caractère russe.

Grâce au folklore, la romance jouit donc d’un statut très différent de celui qu’elle obtient finalement en Europe de l’Ouest : il ne s’agit plus d’un genre mineur ni méprisable comme en Italie ni rapidement en voie de disparition comme en France dès le Second Empire. Puisque la culture ne se développe en Russie qu’au début du xviiie siècle, c’est dans le folklore que se développe l’âme russe, nourrie de contes et de légendes populaires et par le folklore que la romance russe va vraiment prendre son envol.

Dès le début du xixe siècle, une nouvelle étape commence donc dans laquelle la chanson russe, en supplantant la pastorale et la romance sentimentale, devient le genre le plus répandu. Un nouveau type d'auteurs-compositeurs spécialisés apparaît qui se distinguent fondamentalement des autres poètes du xviiie siècle, comme Alexandre Soumarokov (1717-1777), considéré comme le premier écrivain professionnel russe et auteur de 160 chansons, et le duo Mikhaïl Popov (1742-vers 1790) - Mikhaïl Tchoulkov (1744-1792), auteurs du recueil de chansons folkloriques déjà cité et d'autres. C’est en introduisant dans leurs œuvres du matériau de chansons folkloriques, des motifs narratifs, des tournures de langage, des termes particuliers, des images, en stylisant ce matériau, en en renouvelant les rythmes et les rimes, voire en empruntant des fragments plus ou moins longs allant parfois jusqu’à des œuvres entières et en les recyclant partiellement que ces poètes vont donner une originalité, une nouvelle profondeur et une véritable identité russe au genre de la chanson. Le principal auteur de cette période et le plus typique est Alexeï Fiodorovitch Merzliakov (1778-1830). C’est lui qui, avec ses contemporains, Neledinski-Meletski et les fabulistes Dmitriev, Krylov et Izmaïlov, montrera la voie aux poètes de la génération suivante que chacun connaît, Tsyganov, Pouchkine, Koltsov et Lermontov.

Alexeï Fiodorovitch Merzliakov (1778-1830).


Contrairement à ses prédécesseurs, Merzliakov ne s'intéresse guère aux poèmes pastoraux et les romances sentimentales dans son œuvre ne sont représentées que par les effusions amoureuses du poème-monologue « De quoi suis-je coupable auprès de vous ? ». Les chansons ne représentent qu'une partie relativement mince de son activité littéraire mais ce sont elles qui le font connaître, lui donnent la place qu’il occupe dans l'histoire de la littérature russe et le font considérer comme le véritable fondateur de la « chanson russe ».

Ainsi, Mikhaïl Maximovitch, le grand collecteur de chansons populaires, relève dans son article « Revue de la littérature russe » de 1831 « la qualité nouvelle de la poésie de Merzliakov, les fables », même si tant Soumarokov que Popov l’ont précédé dans ce genre. Un autre contemporain, Andreï Glagolev, écrit que Merzliakov « a ouvert de nouvelles et précieuses perspectives à la poésie russe grâce à nos chansons folkloriques. Dans ce genre de poésie, il a compris le véritable esprit du peuple russe, la profondeur de ses sentiments, tout ce qui est propre à son expression et ce sont ces qualités qui donnent un caractère national aux chansons de notre poète. »3 Vissarion Belinski célèbre ainsi le résultat de son travail :

C'était un talent puissant et énergique ; quel sentiment profond, quelle mélancolie incommensurable dans ses chansons ! […] ce ne sont pas des faux, du simili-folklore ; non, c'est une effusion naturelle et vivante de sentiments où tout est naïf et naturel.4

En 1831 toujours, l’année suivant la mort du poète, un autre critique abonde dans le même sens et ajoute : « Les chansons de Merzliakov sont chantées de Moscou au Ienisseï». Au xxe siècle, la renommée du poète reste intacte comme le montre cette déclaration du critique soviétique Ivan Rozanov :

Merzliakov a été le premier à devoir sa renommée poétique à sa créativité dans ce domaine [la chanson folklorique]. Ses chansons ont survécu à tout ce qu’il a écrit et fait : ses articles de critique littéraire ont très vite vieilli ; ses odes, reconnues par certains de ses admirateurs comme "géniales", reposent, délaissées de tous, dans le vieux fonds de la poésie russe ; son exceptionnel talent oratoire, ce don brillant de l'improvisation dont il faisait preuve dans ses conférences professorales, attend toujours le chercheur qui le fera revivre […] Seules ses chansons lui ont survécu.5

Si Merzliakov s’est tourné vers le monde de la chanson folklorique ce n’était pas par accident mais parce qu’il était passionné par l'art populaire et profondément convaincu de son importance pour la création d’une culture proprement russe. Dans un de ses discours publics, le poète en parle avec enthousiasme : « Oh, de quels trésors nous nous privons ! Dans les chansons russes nous verrions les mœurs russes, les sentiments russes, la vérité russe, la grandeur russe. » Il ne manquait jamais non plus de signaler à ses étudiants la valeur des chansons folkloriques. L'un d’eux a rappelé par la suite qu’il leur avait conseillé d'en écouter et de les enregistrer : « Vous entendrez beaucoup de la souffrance nationale en eux », leur avait déclaré le poète. Quantités de poètes et de compositeurs s’exprimeront à sa suite sur la valeur de cet héritage. Nous n’en citerons que deux. Alexandre Varlamov a un jour déclaré : « La musique a besoin d'une âme ; le Russe l'a, la preuve en sont nos chansons folkloriques. » Lermontov, à 15 ans, a déploré ne pas avoir entendu de contes folkloriques russes dans son enfance. Quand enfin il les découvre, il s’exclame : « Il y a probablement plus de poésie en eux que dans toute la littérature française ». Dès lors, on imagine facilement, même si à notre connaissance il ne s’est jamais exprimé sur ce sujet, ce qu’il devait penser de la romance française.

Revenons donc un instant sur ces recueils de chants populaires. Comme nous l’avons vu, ils apparaissent au début du dernier quart du xviiie siècle. À la première collection imprimée de musique folkloriste russe, celle de Tchoulkov citée supra, fait immédiatement suite celle de Vassili Fiodorovitch Troutovski, Recueil de chants russes simples avec des partitions, quatre-vingt mélodies présentées dans une version pour chant avec une simple ligne de basse, dont les trois premiers volumes s’échelonnent de 1776 à 1779 et le quatrième, avec une harmonie complétée par lui-même, en 1795.

Vient ensuite la plus célèbre, celle de Lvov et Pratch6. Dans l’histoire du folklore musical russe et dans l’histoire de la musique russe en général, il semble impossible de surestimer l’importance de cette « Collection de chansons folkloriques russes », communément appelée « collection Lvov et Pratch » et publiée pour la première fois en 1790. Contenant une centaine de mélodies, le recueil jouit dès sa parution d’une grande popularité. Pendant l’ère de la Russie impériale, cet ouvrage est publié quatre fois, la seconde édition, révisée et contenant davantage de mélodies, paraissant en 1806, la troisième en 1815 et la dernière en 1896. Tous les grands compositeurs russes du xixe siècle possèdent le recueil et la plupart d’entre eux utilisent les mélodies qu’il contient : Moussorgski lui emprunte quelques chansons, dont une pour la scène du couronnement de Boris Godounov, et Rimski-Korsakov, dans sa célèbre anthologie 100 Chants populaires russes, opus 24 (1877) dédiée à Vladimir Vassilievitch Stassov, non moins d’une quarantaine. Il est même possible de retrouver trace des mélodies qu’il contient dans l’œuvre de grands compositeurs occidentaux, comme Grétry, Beethoven (quatuors opus 59) et Rossini.

Entre Lvov-Pratch et Rimski-Korsakov paraissent plusieurs anthologies importantes qui ont elles aussi joué leur rôle dans la diffusion des chansons dans le grand public et auprès de leurs futurs utilisateurs, qu’il s’agisse d’eux-mêmes ou d’autres compositeurs. Excepté celui dont nous venons de faire la connaissance, Alexeï Merzliakov (1778-1830), très en vogue à la fin des années 1820 et au début des années 1830 avec son recueil Chants et romances paru en 1830, l’année de sa mort, les principaux grands folkloristes de la première moitié du xixe siècle sont, entre autres : Alexandre Aliabiev (1781-1856), (Thèmes de chants ukrainiens, 1834) ; Ivan Sakharov (1781-1856) (Chants du peuple russe, 1838) ; Ivan Roupine (1792-1850), auteur de trois recueils (1831-1833, 1836 et 1836-1837) ; Alexandre Varlamov (1801-1848), (Le Chanteur russe, 1846)  et le philologue, historien et professeur de botanique à l’université de Moscou Mikhaïl Maximovitch (1804-1873), qui publie un volume de chansons de la Petite Russie dès 1827, deux autres en 1834 et un quatrième en 1849 ; Pavel Vorotnikov (1804-1876) ; le slavophile Piotr Kireïevski (1808-1856), spécialiste des bylines, qui commence à collecter des chants populaires dès 1831 dans diverses provinces russes, notamment au Nord puis en réalise des enregistrements dès 1834 et ne cesse sa vie durant de faire connaître les milliers qu’il a rassemblées à l’intelligentsia russe ; Konstantin Villebois (1817-1882), (plusieurs recueils, dont 100 Chants populaires russes en 1864) ; Mikhaïl Stakhovitch7 quatre cahiers de Chants populaires russes entre 1851 et 1854) ; Nikolaï Afanassiev (1821-1898), (Recueil de chansons folkloriques pour chœur à quatre voix a cappella, 1866) ; puis, ces derniers vraiment hors période, c’est-à-dire actifs seulement dans la seconde moitié du siècle, Piotr Sokalski (Sokolski) (1830 ou 1832-1887) ; Mili Balakirev (1837-1910), (Recueil de chants folkloriques russes,1865-1866, et Trente Chansons du peuple russe, 1898) ; Alexandre Roubets (1837-1913), (216 Chants ukrainiens, 1872) qui rassemble de surcroît un grand nombre de chansons russes et biélorusses ; Piotr Tchaïkovski (1840-1893), (50 Chants populaires russes arrangés pour piano à quatre mains, 1868-1869, dont les mélodies sont empruntées aux recueils de Villebois et Balakirev) ; Alexeï Pavlovitch Aristov (1842-1910) ; Konstantin Galler (1845-1888) ; et surtout Nikolaï Feopemptovitch Soloviov (1846-1916), qui collecte environ 300 chansons folkloriques russes.

Cet article étant déjà trop long, nous ne citons ici que quelques-uns des principaux auteurs de cette première étape de la romance russe au xviiie siècle sans analyser leur personnalité ni leur art. Considérons tout d’abord les auteurs de textes. Parmi les poètes les plus remarquables figurent ceux que nous avons déjà rencontrés en cours de route, Soumarokov, Popov et Tchoulkov. En ce qui concerne la musique, les premières « romances russes » sont les œuvres de compositeurs russes anonymes tout d’abord puis d’hommes qui sont restés dans l’histoire tels que Grigori Teplov (1717-1779) et enfin, plus tardifs, Ossip Kozlovski (1757-1831) ; Fiodor Doubianski (1760-1796) ; Alexeï Jiline (c.1766-pas avant 1848) ; Alexeï Titov (1769-1827) et Daniil Kachine (1770-1841 ou 1844). 

Tous ceux qui suivent pendant l’époque qui nous intéresse ici, la première moitié du xixe siècle, conservent le caractère populaire et les caractéristiques les plus importantes de ces « chansons russes » du xviiie siècle. En voici les principaux :

Parmi les poètes,

Alexeï Merzliakov (1778-1830) ;

Alexandre Plechtcheïev (1778-1862) ;

Ivan Kozlov (1779-1840) ;

Alexandre Izmaïlov (1779-1831) ;

Vassili Joukovski (1783-1852) ;

Denis Davydov (1784-1839) ;

Fiodor Glinka (1786-1880) ;

Konstantin Batiouchkov (1787-1855) ;

Piotr Viazemski (1792-1878) ;

Alexandre Griboïedov (1795-1829) ;

Kondrati Ryleïev (1795-1826) ;

Nikolaï Tsyganov (1797-1832) ;

Mikhaïl Ofrossimov (1797-1868) ;

Alexandre Bestoujev-Marlinski (1797-1837) ;

Anton Delvig (1798-1831) ;

Alexandre Pouchkine (1799-1837) ;

Fiodor Toumanski (1799-1853) ;

Evgueni Baratynski (1800-1844) ;

Alexandre Veltman (1800-1870) ;

Vassili Toumanski (1800-1860) ;

Grigori Malychev (1802-1868) ;

Alexandre Odoïevski (1802-1839) ;

Nikolaï Iazykov (1803-1846/47) ;

Fiodor Tiouttchev (1803-1873) ;

Platon Obodovski (1803-1864) ;

Alexeï Khomiakov (1804-1860) ;

Alexandre Polejaev (1805-1838) ;

Dmitri Venevitinov (1805-1827) ;

Kouzma Tretiakov (1805-1852) ;

Dmitri Lenski (de son véritable nom Vorobiov) (1805-1860) ;

Konstantin Bakhtourine (1807 ou 1809 -1841) ;

Vladimir Benediktov (5 / 17 novembre 1807-1873) ;

Sergueï Lioubetski (1808 ou 1809-1881) :

Alexeï Koltsov (1809-1842).

Parmi les compositeurs,

Alexandre Aliabiev (1781-1856) ;

Alexandre Aliabiev, Le Rossignol, Cansu Özel (soprano), Burcu Ersin (piano) .

Mikhaïl Vielgorski (1788-1856) ;

Mikhaïl Vielgorski, J'ai aimé, par Natalia Gerasimova.

Ivan Roupine (1792-1850) ;

Мatveï Bernard (1794-1871) ;

Grigori Kouzminski (1794-1877) ;

Iossif Guenichta (1795-1853) ;

Alexeï Lvov (1798-1870) ;

Nikolaï Titov (1798-1843) ;

Alexeï Verstovski (1799-1862) ;

Alexeï Verstovski, Le vieux mari (Pouchkine), Irina Bogacheva (soprano), Elena Gaudasinskaya (piano).

Ivan Tcherlitski (1799-1865) ;

Nikolaï Titov (1800-1875) ;

Nikolaï Titov, Désolé pour cette longue absence, par Konstantin Pluzhnikov, Tatiana Novikova, et l'ensemble de cordes de chambre du Théâtre Kirov sous la direction de Valery Gergiev.
Nikolaï Titov, Orage (Alexandre Pouchkine), Zoya Shtylina (contralto), Inna Malofeyeva (piano).

Alexandre Varlamov (1801-1848) ;

Alexandre Varlamov, Ce n'est pas le vent qui fait pencher la branche (Semyon Stromilov), par Tatiana Petrova.
Alexandre Varlamov, Le safran rouge, Marina Philippova (mezzo-soprano), Alexander Puliaev (piano).

Alexandre Gouriliov (1803-1858) ;

Alexandre Gouriliov, Les cloches solitaires, Dmitri Khvorostovski, 2006.

Mikhaïl Glinka (1804-1857) ;

Mikhaïl Glinka, L'Alouette, Galina Vishnevskaya.

Pavel Vorotnikov (1804-1876) ;

Mikhaïl Titov (1804-1853) ;

Nikolaï Likharev (1804-1867) ;

Elisaveta Chachina (1805-1903) ;

Nikolaï Dur (1807-1839) ;

Nikolaï Bakhmetiev (1807-1891) ;

Feofil (Théophile) Tolstoï (1809-1881) ;

Alexandra Larmé (1809-1890).

Le lecteur aura sans doute remarqué que ces listes s’arrêtent juste avant la date de naissance 1810, de manière à rester dans la période concernée d’une part, et parce que nous considérons qu’avec Dargomyjski (1813-1869) nous entrons de plain-pied dans une autre époque que, si nous étions en France, nous appellerions celle de la mélodie qui brillera de tous ses feux dans la seconde partie du siècle avec les compositeurs du cercle de Balakirev que tout le monde connaît mais que Dargomyjski précède d’une génération.

Alexander Sergeïevich Dargomyjski, Мне грустно (Je suis triste), Ljuba Welitsch (1913-1996, soprano), Paul Ulanowsky (piano).

En conclusion, nous croyons utile de revenir brièvement éclairer ce que nous avons voulu être le point fort de cet article, le passage de la romance française à la chanson russe. Le profane qui tente de s’initier à cette dernière se laisse souvent vite décourager en se perdant dans ce que nous avons appelé un maquis d’appellations toutes créées dans un effort louable de clarté mais qui, en fin de compte, ne font qu’introduire encore davantage de confusion encore par la multiplication des termes utilisés. S’il persévère, il se découragera encore davantage parce que, croyant de bonne foi pouvoir ainsi remédier à celle qu’ils ont contribué à établir, certains musicographes russes proposent maintenant de remplacer tous ces termes par une locution difficilement traduisible, песенные романсы, qui regroupe les deux termes de pesnia (chanson) et de romans (romance) en prenant le premier comme adjectif du second. Il faudrait alors employer l’expression de « chanson-romance » pour une grande partie d’entre elles. Même sans cette malheureuse innovation, les Russes s’y perdent aussi parfois : dans les Archives musicales de Russie, toutes les romances qui n’appartiennent pas indubitablement au folklore sont appelées « chanson » ou « romance » sans qu’il soit possible le plus souvent de discerner les raisons d’un tel choix. Du reste, dans le langage courant, musiciens professionnels russes et simples mélomanes tendent à utiliser indifféremment ces termes l’un pour l’autre. De plus, alors qu’on distingue clairement entre la romance et la mélodie en France et qu’il ne viendrait à l’esprit de personne d’appeler « romances » les mélodies de Fauré ou de Debussy (alors que l’héritage de celle-ci y est encore parfaitement visible), on continue en Russie à utiliser ce terme pour les œuvres savantes du siècle d’argent et de l’époque moderne. Le même terme pour Teplov et pour Prokofiev ? Le Français, habitué à une terminologie déjà ancienne qui considère la romance comme un genre « primitif » appartenant à une époque révolue depuis longtemps, trouve choquant d’entendre appeler par ce terme les mélodies de Borodine, de Rakhmaninov ou de Chostakovitch et plus choquant encore que l’on ose désigner par ce même mot des œuvres comme les Chants et danses de la mort de Moussorgski. Mais c’est dans le fait même qu’il y a confusion perpétuelle que gît l’explication : le Russe n’a aucun besoin du mot « mélodie » parce que, contrairement à nous, il reste profondément attaché à des traditions folkloriques toujours vivaces avec lesquelles le cordon ombilical n’a jamais été coupé.

Bibliographie sélective

La quasi-totalité des ouvrages que nous avons consultés étant en russe et la liste en prenant cinq à six pages, nous jugeons inutile de les citer et renvoyons le lecteur intéressé à notre livre cité infra. Nous faisons de même pour les listes de plusieurs centaines de poètes, compositeurs et collecteurs de chansons populaires concernés que nous y avons publiées.

BUHLER FRANÇOIS, Prélude au siècle d’or de la poésie et de la musique russes. Chansons et romances d’Alexandre Gouriliov, Publibook, Paris, 22 avril 2022.

HODGE, THOMAS P. A Double Garland: Poetry and Art-Song in Early Nineteenth Century Russia (Studies in Russian Literature and Theory). Evanston: Northwestern University Press, 1999.

LISCHKE ANDRE, Histoire de la musique russe : des origines à la Révolution, Paris, Fayard, coll. « Les Chemins de la musique », 2006 [792 p.].

MOOSER ROBERT-ALOYS, L’opéra-comique français en Russie au XVIIIe siècle : contribution à l’histoire de la musique russe, Genève, Conches, 1932, rééd. Genève, Kister et Union européenne d’éditions, 1954.

François Buhler
27 janvier 2024

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Notes

1. Les Titov (entre autres Alexeï Nikolaïevitch, Nikolaï Sergueïevitch et son cousin Nikolaï Alexeïevitch) sont une grande famille de musiciens qui mérite d’être mentionnée ici par la qualité et la quantité de leurs romances. Il en va de même de celle des Golitsyne, qui comprend elle aussi une dizaine de noms sur plusieurs générations, qui sont des musiciens ou poètes amateurs de qualité beaucoup plus modeste, mais qui ont eu une énorme influence sur le développement du genre parmi la noblesse et les cercles cultivés de l’Empire.

2. Trois selon d’autres sources. Il est même possible que plusieurs de celles que l’on croit encore originales dérivent d’un texte non encore identifié.

3. Умозрительные и опытные основания словесности. СПб., 1834, с. 119. (Les fondements spéculatifs et expérimentaux de la littérature, Saint-Pétersbourg, 1834, p. 119).

4. Белинский В.Г. Полн. собр. соч., ч. I, с. 63. (Vissarion Belinski, Œuvres complètes, 1re partie, p. 63.)

5. Песни русских поэтов. М., 1936, с. 113 (Chansons de poètes russes, Moscou, 1936, p. 113).

6. Nikolaï Alexandrovitch Lvov (Nikolskoïe-Tcherentchitsy, près de Torjok, 4 / 15 mai 1753 – Moscou, 22 décembre 1803 / 3 janvier 1804), né d’un petit propriétaire terrien dans une famille d’antique noblesse ruinée, officier, académicien, architecte réputé auteur de quatre-vingt-sept ouvrages, poète, musicien, traducteur, graveur, dessinateur, chargé de multiples missions diplomatiques qui lui font parcourir toute l’Europe, est incontestablement un des esprits les plus éclairés de son temps, qui se passionne de plus pour l’archéologie, la chimie, la géologie et la mécanique et compile des chants populaires. Ivan Pratch (Johann Gottfried Pratsch, Jan Bohumir Práč, né en Silésie vers 1750 – Saint-Pétersbourg, 1818) est un compositeur résidant dès 1770 à Saint-Pétersbourg, professeur de piano à l’Institut Smolni pour jeunes filles nobles entre 1780 et 1795, et dont la vie, mal connue, se passe toute entière dans la capitale russe. Dans la collaboration entre les deux folkloristes, c’est lui qui est chargé de l’accompagnement des mélodies rassemblées.

7. Mikhaïl Stakhovitch (Palna, province d’Oriol, 22 mars / 3 avril 1820 – Palna, 26 octobre / 7 novembre 1858). Ecrivain, poète, dramaturge, spécialiste de la vie paysanne et proche du mouvement slavophile, ce folkloriste est l’un des premiers à publier des enregistrements réalisés dans les villages auprès d’artistes paysans. Il est également l’auteur de compositions et d'arrangements pour guitare, ainsi que d’« Essais » sur l'histoire de la guitare à sept cordes publiés dans la revue Moskvitianine en 1854 et 1856.


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Dimanche 28 Janvier, 2024 2:13