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Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, 16 juin 2024 — Frédéric Léolla.

L’esprit des anciens chansonniers

On aura tout vu. Photographie © Palazzetto Bru Zane.

Les musiques dites « populaires » doivent-elles s’opposer aux musiques dites « savantes » ?

C’est ce que nombre de pontes et de petits-maîtres ont essayé de nous inculquer, souvent pour justifier leurs propres choix. Et pourtant voilà bien une distinction, « populaire versus savante », qui est plus récente qu’elle n’en a l’air. Et s’il est vrai que certaines structures sophistiquées de Palestrina ou Bach ne semblent pas avoir été écrites pour les tavernes, il est tout aussi vrai que Dufay ou Schubert ont parfois des compositions faites pour que les gens se les approprient au plus vite. Et que des auteurs, clairement de musiques « savantes », se sont penchés sur les musiques populaires, tels Beethoven et son intérêt pour les musiques écossaises, irlandaises et galloises, Bartók et sa passion pour les musiques traditionnelles, ou Schönberg et ses chansons de cabaret. Sans compter la popularité à leurs époques respectives de Mateo Flecha, de Rossini, de Weber, de Verdi, de Weill et de tutti quanti

Le problème avec ces musiques populaires – quand elles ne sont pas signées de compositeurs prestigieux, bien sûr —, c’est que leur popularité ne dure qu’un temps (souvent trois ou quatre générations), et qu’après, méprisées comme de vieux jouets cassés, elles tombent dans un oubli dont il est difficile de les tirer.

Dans son spectacle On aura tout vu, Flanan Obé, avec l’inestimable collaboration du Palazzetto Bru-Zane, essaie d’ouvrir une fenêtre sur ces musiques populaires entre 1860 et 1930 (peu ou prou).

Le tout est de trouver la juste balance entre l’intérêt musicologique (quelles chansons, quels courants stylistiques, quels auteurs ou quels interprètes célèbres...) et l’intérêt spectaculaire (attirer le public actuel, l’amuser, lui faire sentir l’ambiance de l’époque…). Et le ressenti sera différent selon les attentes et les goûts de chaque spectateur.

Le choix des chansons nous emmène un peu partout, de la chanson patriotique (Ce que c’est qu’un drapeau) à la chanson pacifiste (poignante Grève des mères superbement chantée par Marie Gautrot), de la critique d’actualité (On aura tout vu !) à la chanson grivoise (Vierges, la leçon de piano), de la chanson réaliste (Dans la rue) à la chanson politique (avec cette féministe La Femme libre qui réutilise le refrain que déjà Lesage, Fuzelier et d’Orneval utilisaient pour La forêt de Dodonne en 1721), du sketch (quelle bonne idée de ressusciter une œuvrette de Hervé, Moldave et circassienne) à la danse à la Loïe Fuller (Fumeur d’opium)… Il serait difficile de s’ennuyer avec une telle diversité.

Sont aussi évoqués des interprètes (parfois aussi auteurs) phare, tels Aritide Bruant, Yvette Guilbert, Mayol, Dranem…

En tant que metteur en scène, Obé multiplie les gags (parfois un peu trop, il est bien vrai) pour s’assurer la complicité des spectateurs. Et le public rit souvent à gorge déployée. Car, si les gags ne sont pas vraiment nouveaux, ils sont tous exécutés avec brio et conviction par les quatre joyeux lurons qui se relèvent dans le chant (et parfois même au piano). Et si Delphine Dussaux, qui s’occupe surtout du piano, n’a pas une grande voix, elle a le mordant qui donne le prix à ses interprétations. Quant à Flanan Obé, Pierre Lebon et Marie Gautrot, ils nous épatent par la qualité de leurs voix, mais surtout par leur intelligence et leur capacité à diversifier les approches vocales selon les œuvres. Peut-être faudra-t-il soigner un peu plus l’intelligibilité lorsque Obé ou Lebon prennent des accents ou contrefont leurs voix — le métier de « fantaisiste » n’est pas sans risque.

Des lumières bien agencées et un décor simple, mais qui réservent des surprises, complètent le bonheur des spectateurs.

Que souhaiter de plus ?

Que le spectacle puisse tourner pour le plaisir du plus grand nombre.

plume_04 Frédéric Léolla
16 juin 2024
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Paris, 16 juin 2024. Théâtre des Bouffes du Nord. On aura tout vu. Chansons françaises entre 1860 et 1930. Georges Millandy / René Mercier Paris ! (1920) ; Henri Pacory / Érik Satie Je te veux (1902) ; Théo Botrel Le Mouchoir rouge de Cholet (1898) ; Edgar Favart / Xavier La Mareille Ce que c’est qu’un drapeau (1900) ; Bernard Boussagol / Eugène Rimbaud et Edmond Bouchaud Ah ! Je l’attends (1900) ; MOntéhus / Raoul Chantegrelet et Paul Doubis La Grève des mères (1905) ; Pedro Badia et Charles Borel-Clerc / Paul Briollet et Léo Lelièvre La Matchiche (1905) ; Aristide Bruant Dans la rue (1889) ; Émile Gitral / Vincent Scotto La Leçon de piano (1911) ; Dalleroy / Yvette Guilbert Vierges ! (1892) ; Georgius / René Mercier et Henri Piccolini Si j’étais midinette (1916) ; Félix Baumaine et Charles Blondelet / Hervé Moldave et circassienne (1864) ; Maurice Boukay / Marcel Legay La Femme libre (1897) ; Félix Mortreuil et Eugène Joullot / Charles Helmer Fumeur d’opium (1906) ; Léon Laroche / Louis Byrec Je suis pocharde ! (1890) ; Charles-Louis Pothier / Charles Borel-Clerc Le Train fatal (1918) ; Pierre Chapelle / Paul Fauchey Le Rondeau du café-concert (1919) ; André Barde / Raoul Moretti On aura tout vu ! (1934). Conception et mise en scène, Flannan Obé. Colaboration artístique, décors et costumes, Pierre Lebon. Conception lumières, Ingrid Chevalier. Régisseur lumières, Bertrand Killy. Avec Marie Gautrot (mezzosoprane), Flannan Obé (ténor), Pierre Lebon (baryton) et Delphine Dussaux (piano).


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