musicologie

Analyse d'Emmanuel Thiry, 29 janvier 2024 —

Jaco Pastorius : « Purple Haze », in album Blackbird, 2018

 

Jaco Pastorius est LA légende incontestée de la guitare basse. Il est d'abord batteur, mais suite à une embuscade dans laquelle il tombe à 13 ans, qui lui laisse une grosse fracture du poignet, il opte finalement pour la basse.

Après être passé notamment par le reggae, il se fait véritablement connaître dans les années 1970 en jouant avec Pat Metheny. Il enregistre son 1er album en tant que soliste en 1975 « Jaco Pastorius » dans lequel on trouve notamment sa célèbre version de Donna Lee (Charlie Parker).

Jaco Pastorius, Donna Lee.

C'est dans cet album que l'on découvre la diversité de son jeu et sa technique exceptionnelle : vitesse d'exécution, harmoniques, jeu en accords, groove... Il y élève la guitare basse au rang d'instrument soliste.

De 1976 à 1982, il joue dans le fameux groupe Weather Report,

Weather Report, Teen Town, composition de Jaco Pastorius.
accompagne la chanteuse Joni Mitchell.

Au début des années 1980, il commence à souffrir de troubles maniaco-dépressifs. Il monte son Big Band Word of Mouth, avec lequel il part en tournée, mais ses comportements sur scène sont parfois imprévisibles.

Vers 1984, à l'époque de l'enregistrement de Purple Haze que nous avons à étudier, il commence sa longue descente en enfers, il devient SDF, se fait voler ses deux basses Fender jazz Bass (l'une avec frettes, l'autre sans) laissées sur un banc.

Sa vie se termine tragiquement vie en 1987, après une altercation avec le directeur d'une discothèque, tabassé par le videur. Il gît à terre avec un œil en moins, un traumatisme crânien et souffre d’une pneumonie et décède dix jours après [pour en savoir plus].

Purple Haze (1984, mais album sorti en 2018)

Il s'agit d'un duo de Jaco Pastorius avec le batteur Rashid Ali, une formation peu habituelle puisque ces deux instruments, dont la fonctionnalité dans l'orchestre de jazz ou de rock est précisément d'accompagner, se retrouvent ici tous deux à dialoguer en solistes.

Il s'agit d'une session improvisée très free enregistrée en 1984 en Martinique à la suite d'une master class.

Comme on l'a vu dans sa biographie, 1984 est la plus dure période de la vie de Jaco Pastorius, et on sent bien dans cet enregistrement qu'il n'a plus cette inspiration foisonnante qu'il avait avant. Il en est alors réduit à recycler beaucoup de ses plans et formules anciennes. Ce morceau est donc truffé d'auto-citations comme nous allons le voir.

On ne saurait donc que trop recommander à tous d'écouter les versions originales des morceaux en question afin d'avoir une vraie idée du génie de ce musicien.

Le titre est très anecdotique puisque le Purple Haze de Jimi Hendrix n'est que seulement cité durant cette improvisation.

Jimi Hendrix, Purple Haze.

Analyse

L'introduction est une auto-citation de sa pièce Okonkolé Y Trompa.

Okonkolé Y Trompa, Jaco Pastorius, Don Alias, album « Jaco Pastorius » 1976.


Il utilise ici l'une de ses formules favorites qu'il met en boucle : des harmoniques en quartes obtenue en effleurant les 4 cordes au quart de leur longueur afin d'obtenir les harmoniques 4 (la double-octave).

Cette intro est suivie d'un petit solo construit librement à partir de phrases pentatoniques auto-citant un solo de Word of Mouth (dans l'album éponyme avec le Jaco Pastorius Big Band, 1981) que l'on va retrouver tout au long de ce morceau.


0:47 : troisième auto-citation (en moins d'une minute !) cette fois de la basse de Liberty City (Jaco Pastorius, « Word of Mouth », 1981)


0:51 : Jaco Pastorius lance une walking bass swing à 4 temps sur une grille d'Anatole1 traitée avec une certaine liberté :

/ G Em7 / Am D7 / G Em7 / Am7 D7 / G G7 / C C#° / G Em7 / Am7 D7 /

1:20 : ce pattern2 de basse fut créé par Jaco Pastorius en s'inspirant d'un pattern de congas et qu'il a souvent utilisé auparavant : on l'entend par exemple dans « Used to be a cha cha » (J. Pastorius dans l'album Jaco Pastorius, 1976) « Invitation » (album live Invitation, 1983 avec le Jaco Pastorius Big Band).

1:34 : 2e auto-citation du solo de Word of Mouth que nous avions déjà en prémices dans le solo de l’introduction, suivi d'un passage libre.

2:11 : ajout d'une distorsion sur le son, probablement avec une pédale.

2:40 : citation de l'introduction du Purple Haze de Jimi Hendrix. Ensuite, Jaco continue à improviser librement.

4:48 : 3e auto-citation du solo de Word of Mouth.

5:07 : retour d'une distorsion plus puissante que la première fois.

5:23 : 2e auto-citation de Okonkolé Y Trompa.

5:29 : Retour de Purple Haze de Jimi Hendrix mais le thème d'introduction est cette fois joué de dans son entier pour la seule fois de la pièce.

Il est suivi par une gamme de Mi Majeur jouée comme si c'était un exercice d'étudiant !

6:42 : auto-citation du plan en harmoniques naturelles de A Portrait of Tracy (J. Pastorius, dans l'album « Jaco Pastorius » 1976).

A Portrait of Tracy (Jaco Pastorius, dans l'album « Jaco Pastorius » 1976).


6:47 : on retrouve l'intro de Purple Haze seule, avec les tritons. Impro libre à nouveaux

7:47 : nouvelle walking bass free.

8:13 : 4e auto-citation du solo de Word of Mouth. Ensuite long passage très libre.

10:05 : citation des 5 premières notes de Giant Steps de John Coltrane qui lance un long solo de batterie.

John Coltrane, Giant Steps.

15:05 : retour de la basse sur un riff en boucle rappelant la formule de Coda surnommée le Christophe.

Élargissement de la palette sonore

Le duo basse batterie sans autres instruments : inhabituel.

La distorsion sur la guitare basse, très rarement utilisée par les

bassistes. Les sons harmoniques, les double-cordes…

Exercice de création associé

Créer en improvisant ou de façon plus préméditée d'après le simple riff d'un morceau (Purple Haze, Smoke on the Water…)


Œuvres satellites

Purple Haze de Nguyen Lee

Autres pièces de Jaco Pastorius emblématiques de son style et de son talent Teen Town, The Chicken, Continuum …) .

Il existe également un concert d'archive très intéressant à écouter où l'on voit toute l'ambiance également qu'il y avait autour de cette musique à l'époque où il était encore bien portant :

Jaco Pastorius and the Word of Mouth Sextet, concert au Blues Alley Club, Washington, 26 février 1982, Bob Moses's Solo, (6:33) Twins, (10:41) Mr. Fone Bone, (19:14) Bob Mintzer's Bass Clarinet Solo, (24:06) Tell Daddy - Donna Lee, Slang, (34:27) Slang, Continuum, (45:36) Soul Intro - Mercy, Mercy, Mercy, (56:45) Rahsaan, (1:02:35) Fanny Mae.

Notes

1. L'anatole désigne en jazz soit une structure de 32 mesures de type AABA basé sur le chorus de I got Rhythm, soit (plus fréquemment) une progression d'accords sur 2 mesures, appelée cellule-anatole : I VI II V. Cette expression proviendrait de l'habitude prise en anatomie d'appeler un squelette un « anatole » (la suite harmonique en question étant le squelette d'un morceau).

2 Le pattern désigne à la base un motif rythmique de percussions, mais on peut l'utiliser pour tout instrument pouvant jouer une partie rythmique.

plume Emmanuel Thiry
29 janvier 2024

facebook


rect_acturect_biorect_texterectangle encyclo
À propos - contact |  S'abonner au bulletinBiographies de musiciens Encyclopédie musicaleArticles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale| Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil. ☎ 06 06 61 73 41

ISNN 2269-9910.

bouquetin

Mercredi 31 Janvier, 2024 14:55