Caen le 22 décembre 2024—— Alain Lambert.
Requiem(s). Photographie © Didier Philispart.
Le noir d’abord, et en ouverture un morceau trash métal de Système of a Down envahit la salle, de plus en plus fort comme un hurlement, avant de faire place au silence. Le rideau se lève sur trois groupes se tenant chacun sous un œuf grillagé d’où vont sortir trois corps, recueillis et portés par chaque cortège comme dans une naissance inversée, vers le bas et l’inanimé. Ensuite un thème électro floydien sans doute du collectif 79D (avec qui le chorégraphe travaille depuis 2008) installe l’ensemble des 19 danseuses et danseurs en quatre lignes qui vont suivre les rythmes pulsatifs soit ensemble, soit dans des figures alternées que sait si bien inventer Preljocaj, sur un principe quasi kaléidoscopique des corps et des membres. En arrière fond, une vidéo montre en déplacement lent un objet peut être minéral, ou encore l’arrière d’un crâne moussu sorti d’un ossuaire, qu’on retrouvera dans le tableau presque final, immobile et de face, ses cavités sombres et vides de tout.
Sur un mouvement du Requiem de Mozart, avec en vidéo deux mains en offrandes d’où s’écoule du sable, l’ensemble des danseurs continue d’envahir l’espace en tous sens, dans des rencontres impossibles. Tout se joue entre les musiques diverses, chants médiévaux, Bach, Haas, Messiaen, Ligetti, mais aussi le néo-classicisme de Johann Johannsson (décédé il y a peu), le retour régulier du rock de System of a Down ou l’électro de 79D associées à des vidéos, ruines mouvantes, paysage calciné, arbres en fleurs ou en feuillages… le tout servant de décor musical et symbolique aux multiples séquences dansées, en groupes plus ou moins étoffés, et même un court solo. Ou plus inattendu, des gestuelles collectives assises ou allongées où seules les mains se meuvent en ondulation ou en imploration, à l’indienne. En noir, blanc, gris et une touche de rouge.
Car le deuil, les deuils, individuels et collectifs, sont le motif de ce ballet, qu’ils soient liés à la perte de proches, comme venait de le vivre le chorégraphe, mais aussi à la guerre (l’Ukraine, Gaza) aux épidémies, anciennes et toutes récentes, aux violences conjugales, à l’extermination dans les camps de la mort, aux massacres religieux et aux piétas, aux parques, aux enfers… Quand Deleuze dans son Abécédaire à la lettre R parle de Résistance, il fait référence à Primo Levy, à « la honte d’être un homme », et au rôle de l’art. Moi je crois que, à la base de l’art, il y a cette idée ou ce sentiment très vif : une certaine honte d’être un homme qui fait que l’art consiste à libérer la vie que l’homme a emprisonnée. L’homme ne cesse pas d’emprisonner la vie, il ne cesse pas de tuer la vie. L’artiste c’est celui que libère une vie, une vie puissante, une vie plus que personnelle. Ce n’est pas « sa » vie. Libérer la vie, libérer la vie des prisons que l’homme… et c’est ça résister… La voix du philosophe est retravaillée de façon rythmique en répétant le « je » initial lié à un geste frappé quasi mécanique qui donne au discours entendu une résonance et une profondeur inouïe.
Le final se fait sur un retour au rock trash endiablé, après le silence de la mort, un retour à la vie débridée pour mieux dépasser le vide et le néant silencieux, sans l’oublier, mais en libérant la vie puissante sur fond de pantins auréolés et désarticulés. Ce qui fait de ce ballet un spectacle réenchanté et plein de vie, malgré le thème évoqué, abordé et dansé.
A venir en danse au théâtre de Caen Lovetrain 2020 du Emanuel Gat Dance du 17 au 19 janvier.
Alain Lambert
22 décembre 2024
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Vendredi 27 Décembre, 2024 15:17