Jean-Marc Warszawski, 17 juillet 2024
Beethoven, Concerto no 0 (reconstruit par Willy Hess, 1943), Symphonie no 10 (premier mouvement complété par Barry Cooper en 1998, révisé en 2012), Philippe Boaron (piano), Camerata du Lac Léman, Cascavelle 2024 (VEL 1701).
Date et lieu de l'enregistrement n.c.
Erik Satie, espiègle, annonça qu’il avait découvert la dixième symphonie de Ludwig Beethoven, il en donna une description admirative et enthousiaste.
Ce cédé nous la fait découvrir, avec le concerto numéro zéro, malheureusement sans espièglerie aucune.
Pour cela il suffit de quelques fragments et esquisses originaux, de quelques certitudes et de savoir-faire en écriture musicale. Nous entendons donc ici le concerto pour piano numéro zéro supposé de 1784, Beethoven est alors âgé de quatorze ans, imaginé par Willu Hess en 1943, et le premier mouvement de la dixième symphonie imaginée par Barry Cooper en 1988 et révisée en 2012.
Dans le monde normal, on appelle cela des pastiches (à la manière de), ce que font les grands faussaires du monde pictural avant d’aller se reposer quelques années en prison, comme Guy Ribes, David Stein ou Wolgang Beltracchi (et Madame). Ce sont aussi, comme dans le monde pictural, des exercices d’école, comme les proposait notre maître en écriture musicale, le regretté Michel Capelier.
Ici on parle de restauration et de reconstruction et ici s’arrête le parallèle avec les arts graphiques où on ne restaure que ce qui a existé, qui existe encore et qui n’a pas disparu. Sans compter le fait que la notion d’authenticité se pose différemment d’un domaine à l’autre, tout comme les revenus qu’on peut en tirer qui sont sans commune mesure.
Cela dit il a de célèbres cas musicaux, comme la toccata en ré mineur de Johann Sebastian Bach qui n’est de toute évidence pas de Johann Sebastian Bach, l’Ave Maria de Caccini (de Vladimir Vavilo en 1960), l’Adagio d’Albinoni (de Remo Giazotto en 1945), les Gnossiennes 4, 5, 6, d’Erik Satie qui sont certainement l’œuvre de Robert Caby, ou encore toutes ces pièces attribuées à des compositeurs célèbres des xve et xve siècles que le mythique violoniste Fritz Kreisler composait et jouait, poussant l’espièglerie, quand il jouait vraiment des thèmes originaux (à des fins de variations), de les attribuer à d’autres compositeurs.
Malgré l’habileté des pasticheurs, la qualité des interprètes, cet enregistrement est sans intérêt. Cela est normal, parce que le pastiche puise dans les manières de faire qui existent et non pas dans les les inventions, l’inattendu qui surgissent comme hors propos et qui ne sont pas encore écrits. Pourtant, le livret accompagnant le cédé évoque cet inattendu qui caractérise le style de Beethoven. Enfin il n’y a pas ce « je ne sais quoi » qui selon Vladimir Jankélévitch et inaliénable et ne peut être imité.
Le plus discutable dans cette aventure sont les attendus du livret qui tentent de légitimer ces pastiches, certes issus de fragments originaux, de façon historique ou musicologique (?), notamment en appelant à la barre des témoins les difficultés réelles qu’on a parfois dans l'attribution de certaines œuvres du passé, les réattributions ou les attributions se révélant défectueuses, ce qui en aucun cas n’invalide la notion d’authenticité comme on semble le prétendre, et ne justifie pas de faire passer le pastiche contemporain comme une restauration ou une reconstruction des œuvres passées. S’emparer de ces mêmes fragments pour les redistribuer dans un langage musical contemporain nous semblerait plus judicieux (Stravinski avec Pergolese ou Philippe Hersant inspiré par les musiques anciennes).
Barry Cooper, premier mouvement de la 10e symphonie de Beethoven (premières mesures).
Jean-Marc Warszawski
17 juillet 2024
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