Jupiter, Constance Luzzati (harpe), Caroline Delume (théorbe), arrangments de pièces pour clavecin de Michel Corrette, Jacques Duphly, François Couperin, Antoine et Jean-Baptiste Forqueray, Pancrace Royer, Paraty 2024 (Paraty 1024131). Enregistré en décembre 2023, abbaye de Royaumont.
Jupiter, figure mythologique de la puissance par excellence, est aussi le nom de la pièce la plus célèbre de Forqueray. J'ai choisi d'enregistrer cette œuvre, La Marche des Scythes de Royer ou Médée de Duphly pour pousser la harpe dans ses retranchements, mais pas uniquement par goût pour le challenge virtuose que cela représente. En cherchant les limites de ce qu'il est possible de transcrire du clavecin vers la harpe, on touche à une « vérité » de ces pièces qui sont déjà, en leur temps, composées pour toucher les limites du jeu du clavecin et dont les titres, qui convoquent des figures hors normes, ont été choisis par les compositeurs pour pouvoir sortir des cadres établis. Ces titres autorisent tous les excès d'invention et de geste, en termes de densité sonore, de vitesse, d’utilisation des registres graves comme des chromatismes. De ce fait ces pièces font sonner la harpe d'une façon inhabituelle, avec une densité et un éclat qui ne sont pas les mêmes que ceux produits par une musique adaptée au geste physiologique de l'instrumentiste. Ce « geste contrarié » m'intéresse parce qu'il oblige à réinventer constamment le rapport à l'instrument mais surtout parce qu’il astreint à être entièrement concentré sur le discours musical, qui seul a la force de faire passer au-dessus des contingences physiques.
J’ai enregistré en 2022 des œuvres de Rameau qui s'adaptent pour la plupart très bien à la harpe, sans nécessiter de transcription. La démarche pour aller vers celles de Forqueray est différente, puisque nous avons choisi de les jouer en duo, avec la théorbiste Caroline Delume. À quatre mains, nous avons cherché une troisième voie entre la partition de viole avec continuo et la transcription par Forqueray fils pour clavecin seul. La présence du théorbe permet d'alléger la partie de harpe lorsque ses résonnances risqueraient de brouiller le discours, sans perdre la richesse harmonique, mais surtout de renforcer le registre grave et les attaques grâce au timbre puissant et précis du théorbe. Par moments émerge de cette fusion un troisième instrument, hybride à cordes pincées.
Une forme d'expressivité exacerbée est commune à toutes les pièces de l'album, qui explorent une palette aussi large que possible d’affects. L'Aimable de Royer, Les Baricades mistérieuses de Couperin ou La Forqueray de Duphly font entendre des couleurs opposées à celles des pièces « puissantes », toutes de douceur et de détente, s'adaptant si bien à la harpe qu'elles pourraient avoir été écrites pour elle.
Les pièces composées au milieu du XVIIIe siècle font entrer la scène dans un salon. Un véritable théâtre instrumental y prend vie sous les doigts de l'instrumentiste qui fait sonner tempêtes naturelles et allégoriques, puissance de Jupiter, colère de Médée, terreur inspirée par les Scythes ou séduction exotique.
Constance Luzzati
Michel Corrette, Suite no 1, opus 12, Les Gioboulées de mars, plage 1 (extrait).1. Michel Corrette, Premier livre de pièces de clavecin, « Les Giboulées de Mars » ; 2. François Couperin, Second livre de pièces de clavecin, 6e ordre, « Les Baricades mistérieures » ; 3. Antoine et Jean-Baptiste Forqueray, Pièces de viole mises en pièces de clavecin, « La Couperin » ; 4. « La Portugaise » ; 5. Jacques Duphly, Pièces de clavecin, livre 3, « La Foqueray » ; 6. « Médée » ; 7. Pancrace Royer, Pièces de clavecin, L’Incertaine ; 8. « L’Aimable » ; 9. « La Marche des Scythes » ; 10. François Couperin, Pièces de clavecin, livre 1, 3e ordre, « Les Regrets » ; 11. Antoine et Jean-Baptiste Forqueray, Pièces de viole mises en pièces de clavecin, « Le Carillon de Passy » ; 12. « La Latour - Le Carillon de Passy » ; 13. « Jupiter .
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Mercredi 4 Septembre, 2024