Peut-être en écho à l’exposition consacrée à la Libération de la France de 1944, un grand cycle de 16 concerts, Une certaine idée de la France, constitue le cœur de la saison musicale 2024-2025 du Musée de l’armée aux Invalides.
Francis Huster, grand salon des Invalides, 18 novembre 2024. Photographie © musicologie.org.
Le 18 novembre dernier, la violoncelliste Emmanuelle Bertrand, le pianiste Pascal Amoyel et le comédien Francis Huster évoquaient la figure de Charles de Gaulle, le Général de Gaulle, qui refusa la défaite de 1939, pour devenir, à Londres, une figure centrale de la Résistance (dont il ne fut pas à l’origine) à l’occupant nazi et de la libération du pays. La France libérée et adroitement réinstallée dans sa souveraineté nationale contre les projets étasuniens, il présida un gouvernement issu du Comité de la Résistance qui mit en place des mesures sociales avancées, dont le droit de vote pour les femmes. Chantre de l’autodétermination des peuples à disposer d’eux-mêmes, il mit fin à la guerre d’Algérie, et ordonna le départ des troupes américaines stationnées en France. La constitution de la Ve république, aujourd’hui à l’agonie, a été instaurée sous son autorité en 1958. Désavoué par les urnes en 1969, il quitta aussitôt ses fonctions.
On regrette qu’une partie des textes dits par François Huster semblent parfois nourrir un engagement plus politique qu’historique. Hitler ne haïssait pas que la France et les juifs, mais aussi les communistes, les fameux judéo-bolcheviks, les Slaves, l’Union soviétique, il fut financé par les patrons de la grande industrie et surarmé par l’Occident, calculant que ses premières cibles seraient à l’Est. On ne peut pas oublier la bataille de Stalingrad qui blessa à mort la machine de guerre allemande, ouvrit un immense espoir et la certitude de la victoire. Il est donc un peu affligeant qu’on ait utilisé un texte aberrant (traduit de l’allemand) qui tourne sur la Toile, attribuée à Staline, mais dont on ne peut pas confirmer la source (nous supposons que c’est un faux récent), qui rendrait Staline responsable de la Seconde Guerre mondiale ! Enfin terminer avec Jean Monnet pour avancer l’idée qu’une armée européenne serait une garantie de paix contre le nationalisme fauteur de guerre, ne nous semble pas abonder dans la vision gaulliste de la grandeur de la France, de son indépendance, de son autonomie militaire et de sa dissuasion nucléaire. Ce sont les puissants qui provoquent les guerres. Il y faut beaucoup d’argent et des positions de pouvoir. Le nationalisme n’est pas un caractère naturel des peuples, les puissants et les politiques le fabriquent et l'instrumentalisent au besoin.
Emmanuelle Bertrand, grand salon des Invalides, 18 novembre 2024. Photographie © musicologie.org.
Nous pensons que projeter dans le passé des moralités du présent, dont l’instrumentalisation politique n’est pas une bonne chose. L’histoire ne juge pas et on ne peut pas juger l’histoire. C’est un roman, comme l’écrit Paul Veyne, mais un roman vrai. On doit s’assurer de la véracité des sources.
Enfin pour conclusion, Francis Huster a choisi de dire « le plus beau poème de la langue française », on le lui accorde, Sous le pont Mirabeau de Guillaume Apollinaire, poète combattant des tranchées et mort à l’issue de la Première Guerre mondiale. Pourquoi n’avoir pas choisi, pour rester dans le thème de la soirée, un poème résistant, de résistance même, de Louis Aragon, Paul Éluard ou Jean Cassou, cités dans la brochure de la saison musicale aux Invalides ? Voire même de Robert Desnos, déporté et mort du Typhus au ghetto de Theresienstadt en 1945 ? (Mais on nous dit dans l'oreillette que Sous le pont Mirabeau était le poème préféré du général...).
Nous avouons quelque réticence quant au mariage récitation-musique, que nous estimons le plus souvent raté, côté récitant, tout le monde n’est pas Laurent Terzieff. Francis Huster nous a d’entrée conquis, en opposant à la puissance musicale un jeu affirmé d’acteur et une présence incisive. Même si nous avons ici et là tiqué sur le texte lui-même, sa manière de le jouer à fort bien fait passer la pilule, malgré une sonorisation qui aurait pu être meilleure. Par ailleurs il faut un peu de temps d’adaptation entre les deux mondes sonores des instruments en direct et de la voix sonorisée.
Pasca Amoyel, grand salon des Invalides, 18 novembre 2024. Photographie © musicologie.org.
Quant à la musique, ce fut un empilement d’émotions de la première à la dernière note. Nous avions entendu Emmanuelle Bertrand et Pascal Amoyal il y a une dizaine d’années à Beauvais, dans un hommage aux combattants de la Première Guerre mondiale, avec une copie exacte du « poilu », ce violoncelle fabriqué avec le bois de caisses de munitions (le menuisier a été tué au front) pour Maurice Maréchal, qui jouait, entre autres, avec le violoniste Lucien Durosoir et André Caplet à l’alto, à la demande du Général Mangin. Peu après, nous avons recroisé la violoncelliste lors de l’inauguration de la plaque à Henri Dutilleux dans l’île Saint-Louis… sous une pluie battante (elle et son instrument étaient à l’abri, eux !).
Le grand salon des Invalides est tout de même plus propice à la musique de chambre que l’immense et sublime maladrerie de Beauvais. Et ces deux nous ont donné un magnifique récital de théâtralité musicale.
D’abord par le répertoire, dont une partie se donnait comme offrande naturelle, telles les élégies de Gabriel Fauré ou de Franck Bridge, les deux mouvements de la sonate en do mineur de Camille Saint-Saëns. La sonate en ré mineur de Claude Debussy, toujours pour violoncelle et piano, demandant peut-être un peu plus d’attention. Le piano seul, dans la Deuxième légende de saint François de Paule marchant sur les flots, de Franz Liszt, nous emportant dans un flot de passion sonore, virtuose, furieuse de tempête chromatique et un pianiste littéralement possédé, démiurge, commandant les éléments. Ce sont des musiciens généreux, qui jouent avec leurs tripes et qui en remuent les nôtres.
Pascal Amoyel, Emmanuelle Bertrand, Francis Huster, grand salon des Invalides, 18 novembre 2024. Photographie © musicologie.org.
Pour finir, le chant des partisans enfin attribué à Anna Marly, public debout et recueilli. C’est un temps que nous n’avons pas connu, mais avec une famille manquante pour avoir d’un côté fini son voyage dans les cendres d’Auschwitz et de l’autre un grand-père résistant revenu mal en point de Mauthausen, il y eut chez nous comme un silence masquant l’horreur et une tristesse latente toujours là. Alors d’un côté le Chant des partisans et de l’autre le Chant des marais, ça remue toujours. Surtout, comme le remarquait Joseph Haydn sur lui-même, avec l’âge on devient chignard.
Jean-Marc Warszawski
22 novembre 2024
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