Coutances, 18-20 mai 2023 —— Alain Lambert

Un week-end sous les pommiers

Les affiches et la cathédrale enluminée. © Photographie Patricia Segretinat.

Jazz sous les pommiers pour la 42^eannée et sous le soleil de ce deuxième grand week-end, celui de l’ascension, comme tous les ans. Près du théâtre un récapitulatif (incomplet) des affiches passées nous fait mesurer le temps et les musiques envolées. Mais la foule des après-midis et des soirs nous rassure, aussi bien dans les files d’attente pour les concerts que dans les lieux d’animation gratuite avec musiciens amateurs, fanfares colorées ou circassiens multiples.

Le jeudi, au théâtre, le trio prévu des frères Karapetian, Yesai au piano et Marc à la basse, avec Terri Lyne Carrigton à la batterie, a été modifié à cause de l’absence de cette dernière, retenue de l’autre côté de l’Atlantique. Mais nous n’avons pas perdu au change, Gauthier Garrigue à la batterie est excellent, et le trio est devenu quintet avec Norayr Gapoyan au duduk et Avag Margaryan au blul, une sorte de flûte nay en roseau. Un superbe ensemble au son envoûté, emmené par un pianiste au jeu lumineux.

Deux big bands régionaux sous les pommiers. Photographie © Patricia Segretinat.

En attendant le concert du soir, salle Marcel-Hélie, la cathédrale s’illumine, et derrière, dans le grand barnum dédié à tous les musiciens amateurs de la région, dans des conditions de son et d’écoute très correcte, se succèdent deux grands ensembles, le Big Band de Bernay, très pro, et le Semi-Jazz Band de Luc sur Mer, tous deux avec leur chanteuse, Jennifer pour le premier et Eleonore pour le second, aux voix déjà remarquables.

Sylvain Rifflet, donc, en octet plus un quatuor à cordes, nous offre un bel hommage à Stan Getz, reprenant les thèmes de quelques grandes périodes du musicien : la bossa, bien sûr, plus Abbey Lincoln chantées par Celia Kameni, très à l’aise en brésilien comme en anglais, et avec Airelle Besson à la trompette. Repris aussi un thème du groupe Dynasty d’Eddy Louis puis Focus… Ce dernier moment avec deux thèmes de l’album composé et orchestré par Eddy Sauter, et joué ce soir par Julien Lourau avant deux thèmes de la relecture Refocus, composée et jouée par Rifflet, était magique, alliant le quatuor à corde, la contrebasse de Florent Nisse, le vibraphone de Pascal Shumacher et la batterie de Guilhem Flouzat. Un superbe Remember Stan Getz.

Le duo harpe harmonica au Magic Mirrors. Photographie © Patricia Segretinat.

Le vendredi au Magic Mirrors, l’incroyable duo formé par le harpiste colombien Edmar Castaneda avec l’harmoniciste suisse Grégoire Maret, rencontrés dans le groupe de Marcus Miller, dont on sent la grande complicité musicale et instrumentale, d’autant qu’en anglais harp signifie aussi harmonica. Tous deux sont de grands virtuoses, et leurs compositions respectives, comme leurs reprises (Libertango, un thème colombien ou une samba, Les feuilles mortes) leur permettent d’exprimer la diversité de leurs influences. Et c’est un véritable spectacle de voir jouer le harpiste, très inspiré dans son jeu de basse par Jaco Pastorius, à qui il a dédié un titre.

L'AM.OK dirigé par Tjin Wybenga Photo Patricia Segretinat.

Au théâtre, treize musiciens composent le Amsterdam Modern Orkest dirigé par le claviériste et compositeur Tjin Wybenga. Qui nous explique après deux longs morceaux éclatés comment il compose des thèmes rythmés et samplés avec une machine électro, et comment la musique instrumentale évolue à partir de cette cellule de départ du répétitif décalé aux improvisations free à deux ou trois solistes. Un ensemble résolument moderne qui reste dansant et insolite, comme son chef d’orchestre dégingandé.

Sam Soul et le petit derviche coutançais. Photographie © Patricia Segretinat.

Dans les rues ensoleillées, c’est aussi le festival off des musiques de rue proposées par les différents bars, comme ce groupe de Chicago blues excellent venu de Rennes, Sam Soul, accompagné par un petit poulbot du quartier.

Le samedi, la ville se réveille doucement quand le Magic Mirrors ouvre ses portes autour de midi. D’abord Elie Martin Charrière à la batterie, accompagné de quatre talentueuses musiciennes, Christelle Requillat à la flûte, Olga Amelchenko au sax alto et à la flûte, Nina Cat aux piano et claviers et Laure Sanchez à la basse. Une musique nourrie de Charlie Parker, de Sting, de Prince… entre acoustique et électrique, entre écrit et improvisé dans un bel équilibre sonore.

Monsieur Mâlâ ensuite, résolument funky et électrique, avec Balthazar Naturel aux compositions, saxophones et cor anglais, Robin Antunes aux violon et mandoline électrique, Nicholas Vella aux claviers, Swaéli Mbappé à la basse et Yoann Danier à la batterie. Une belle énergie à revendre et dépenser en public.

Kyle Eastwood et l’ORN Photographie © Patricia Segretinat.

Une des grosses pointures du festival, le fils du cinéaste Clint Eastwood, grand passionné de jazz, et de musiques pour ses films, composées ou choisies par ses soins, comme nous le montre l’entretien vidéo avec Kyle, projeté sur l’écran entre deux thèmes, qui eux sont illustrés par des photos du film choisi. Le contrebassiste est accompagné de son quintet : Chris Higginbottom à la batterie, Quentin Collins à la trompette et au bugle, Brandon Allen aux saxophones et Andrew Mc Cormack au piano, tous excellents. L’orchestre régional de Normandie est dirigé par Cast Waltzing. L’ensemble est réussi et met bien en valeur les différentes compositions du père avec Lennie Nihaus, du fils avec Michael Stevens, de Lalo Schiffrin, John Williams et bien sûr Ennio Morricone pour le final et le rappel, dont Clint reconnaît que lui et Sergio Leone lui ont beaucoup appris et apporté.

70 000 spectateurs en tout, dont 50 % de Manchots et 68 % de Normands, 36 000 billets vendus pour 61 concerts, dont 47 complets, soit un taux de remplissage de 93 %. Mais l’inflation galopante rend impossible l’équilibre financier pour 2023 et jette de l’ombre sur ces bons résultats, ainsi que l’absence de train vers Caen ou Rennes après 18 h 30.

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.

ISNN 2269-9910.

bouquetin

Lundi 22 Mai, 2023 23:43