Entretien avec Jean-Luc Vannier, 6 décembre 2023.
Raphael Fusco. Photographie© Christian Jungwirth.
Compositeur, chef d’orchestre, pianiste, tout ce qui a trait à la musique – plus encore aux mystères du son et à ses effets énigmatiques sur autrui – passionne Raphael Fusco. Si son origine américaine influence sa pensée dans la création musicale, c’est « le mélange des genres » qui caractérise, pour le moment, son travail : musique inclassable, originale sans réfuter les canons classiques, plus exigeante en réalité que son apparence « attrape-tout » et « bon public », son éclectisme invite à réfléchir. Musicologie a rencontré entre Vienne et Nice ce fascinant personnage…et voisin de siège en avion qui chantonne, en mesure et avec justesse de ton, les mélodies mozartiennes diffusées par Austrian Airlines.
Musicologie : Comment est née votre vocation musicale et que souhaitez-vous personnellement exprimer dans ce domaine ?
Raphael Fusco : J'ai commencé à prendre des leçons de piano et à composer à l'âge de 7 ans et j'ai toujours su que je voulais consacrer ma vie à la musique. Vocation est le mot juste. La musique est plus qu'un travail ou une carrière, c'est un appel, l'équivalent d'une religion. Et c'est ce que je veux exprimer en musique : la « connexion » entre les gens, la beauté du son, le monde invisible et émotionnel qui nous sépare et nous lie à la fois. Dans chaque morceau de musique que je compose, qu'il s'agisse d'un solo de piano, d'une chanson d'art ou d'un opéra, je m'efforce de créer un univers sonore unique dans lequel je peux faire appel à l'imagination de l'auditeur et ce, à de multiples niveaux intellectuels et émotionnels.
Musicologie : Vous êtes connu pour vos compositions vocales et musicales « à la croisée des genres » : serait-ce le résultat de vos différentes racines culturelles et familiales ? Serait-ce parce que vous avez du mal à vous identifier précisément à l'une d'entre elles ?
Raphael Fusco : C'est vrai, ma vie s'étend sur plusieurs cultures et plusieurs langues. Je suis né aux États-Unis, d'une famille italienne du côté de mon père, française et anglaise du côté de ma mère. J'ai la double nationalité (américaine et italienne), je suis marié à une chanteuse d'opéra allemande [Eva Maria Summerer] et je vis actuellement à Graz, en Autriche, où j'enseigne à l'Université des arts du spectacle. J'aime les langues et la fusion des mots et de la musique dans la chanson. Dans ma musique, je combine souvent les rythmes énergiques de la pop et du rock, les riches harmonies du jazz, les structures classiques, les textures expérimentales et les mélodies lyriques. Mais durant l’acte créatif, je ne me préoccupe pas vraiment de savoir d'où viennent certains gestes ou certaines idées – même si, m’arrêtant en cours de route, je pourrais probablement les retracer. Ce qui me préoccupe plutôt, c'est la manière dont une idée musicale contribue au tissu de l'œuvre, à l'histoire du personnage, à la sensation et au message que j'essaie de communiquer. Tout comme les États-Unis sont considérés comme un creuset de cultures, il en va de même pour la vie que je mène et l'art que je crée.
Musicologie : Vous mettez l'accent sur « l'empathie » dans vos partitions vocales. Comment la définiriez-vous ? Cette notion ne vous semble-t-elle pas galvaudée aujourd'hui ?
Raphael Fusco : Le terme « empathie » a certainement accumulé un certain bagage depuis sa création il y a plus d'un siècle... mais je ne pense pas qu'il faille jeter le bébé avec l'eau du bain ! Je pense à l'empathie en me référant à ses racines, le mot allemand « Einfühlen » [éprouver de l’empathie pour, s’identifier à] qui signifie « ressentir » une œuvre d'art ou l'esprit d'une autre personne. Il s'agit d'une combinaison de processus cognitifs et affectifs qui permet à chacun de se dépasser, de changer de perspective et de projeter son imagination dans un poème, une peinture, un personnage dramatique, l'esprit de l'auditeur ou le corps de l'interprète afin de ressentir leur expérience. Pour moi, l'empathie est un acte de création d'un discours, une façon de donner vie à des histoires, d'élargir mes horizons et, en fin de compte, de me connecter avec les gens.
Raphael Fusco. Photographie © Anthony Chatman.
Musicologie : Vous avez récemment présenté une communication académique en Sorbonne à Paris : de quoi s'agissait-il et que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Raphael Fusco : J'ai eu l'honneur de participer à une conférence de musicologie en Sorbonne en novembre 2023 et de partager mon article « What's the Catch : Characteristics of Earworms Across Popular and Classical Music ». Dans cette étude, j'ai examiné les structures musicales qui contribuent à l'accroche dans les chansons populaires et les airs classiques reconnus par la communauté scientifique comme des « vers d'oreille ». J'ai été étonné de constater que les caractéristiques de ces différents genres se chevauchaient à ce point. Un élément qui ressort particulièrement est « l'incongruité » ou ce que certains scientifiques appellent la « démangeaison cognitive ». C'est le cas lorsqu'un texte ou un geste musical inattendu survient après que certains schémas ont été établis. Notre cerveau y réfléchit à deux fois et maintient notre attention. L'accroche est en fin de compte une question d'équilibre entre la familiarité et l'inattendu. Vous seriez surpris de voir tout ce que Freddie Mercury, Lady GaGa, Mozart et Verdi ont en commun !
Musicologie : De vos trois métiers — compositeur, pianiste et chef d'orchestre — lequel vous semble le mieux correspondre à vos aspirations les plus personnelles ?
Raphael Fusco : Je me considère avant tout comme un compositeur, bien qu'il me soit difficile de faire la distinction entre ces trois activités, car je les considère comme les différentes facettes d'une même pièce. Je peux passer quelques jours sans jouer du piano ou quelques mois sans diriger, mais il ne se passe pas un jour sans que je génère des idées musicales, ne serait-ce que dans mon esprit ou en faisant des croquis dans mon carnet... ou en demandant à mon épouse une faveur sous la forme d'une chanson improvisée. Une autre « vocation », tout aussi importante pour moi que les autres, est l'enseignement. L'enseignement et la composition offrent une plus grande possibilité d'avoir un impact durable, d'inspirer et de faire ressortir ce qu'il y a de meilleur chez les gens. J'espère qu'un jour, dans plusieurs générations, la musique que j'écris trouvera encore un certain écho auprès du public et que les élèves de mes élèves créeront de la musique qui touchera les gens. Je pense que c'est l'un des aspects les plus impressionnants de la composition musicale : la façon dont les morceaux, transmis au fil du temps, semblent non seulement commenter le « Zeitgeist » [l’air du temps] ou l'esprit de l'époque à laquelle ils ont été écrits, mais aussi réfléchir à la condition humaine en général.
Raphael Fusco, An American Requiem, pour solistes, chœur et orgue, Aleksei Vylegzhanin (orgue), chœur de l'Université de musique et des arts de la scène de Graz, sous la direction du compositeur. Enregistré le 10 avril 2022, Herz-Jesu-Kirche Graz.Propos recueillis et traduits par Jean-Luc Vannier
Le 6 décembre 2023
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Vendredi 8 Décembre, 2023 10:28