![Bosseur Jean-Yves, Musiques traditionnelles et création contemporaine. « Musique ouverte », Minerve, Paris 2022 [252 p. ; ISBN 978-2-86931-166-4 ; 24 €]](i/livre_bosseur.jpg)
Bosseur Jean-Yves, Musiques traditionnelles et création contemporaine. « Musique ouverte », Minerve, Paris 2022 [252 p. ; ISBN 978-2-86931-166-4 ; 24 €]
On n’en finit pas d’opposer les musiques savantes ou académiques ou de création aux musiques traditionnelles ou populaires et on n’en finira qu’à la condition de changer de paradigme qui devrait être essentiellement attaché aux dynamiques sociales y compris de distinctions sociales.
D’ailleurs, même si par nos pratiques, habitudes ou préjugés nous semblons naturellement savoir de quoi il s’agit quand on évoque le « populaire » ou le « savant », il ne faut pas trop pousser le questionnement au risque de s’embrouiller. Il y a là un statu quo et des frontières et passerelles floutées.
Il est même pratiquement certain que nous prenons des musiques savantes extraeuropéennes pour des musiques traditionnelles, et qu’une partie des musiques savantes de nos aires géographiques finissent par tomber dans le domaine traditionnel ou populaire. Même si ce n’est pas l’objet frontal de ce livre, ces questions sont abordées tout au long de ses pages.
Ce n’est pas une question nouvelle, déjà présente dans les suites baroques de danses affinées qui font à la fois référence à du populaire (ou s’y opposent) et à des particularismes régionaux, plus tard, au cours de l’établissement des nations à partir du xixe siècle, ces deux aspects seront liés, depuis le mouvement russophile du Groupe des Six, à Béla Bartok, en passant par tout ce qu’on a appelé « musiques nationales », en fait le socle du romantisme, un recentrage populaire et géopolitique de la musique savante, sans parler des exotismes, comme la « musique égyptienne » de Félicien David ou la mode des « espagnolades », notamment avec Emmanuel Chabrier. Aussi les succès discographiques des gamelans de Java ou de la « danse des singes » des pygmées à la fin des années 1960, sans parler de l'engouement pour le tango avec et après Astor Piazzolla.
Nous ne connaissons que deux mouvements musicaux cherchant à se couper radicalement du populaire ou de la tradition. L’élaboration du plain-chant à partir du ixe siècle, cherchant à faire une musique se distinguant de celle des païens, une théorie dont on ne connaît pas vraiment les portées pratiques, et le mouvement dodécaphonique du xxe siècle dont les cohérences esthétiques n’acceptaient aucune référence tonale ou modale, donc rien qui pouvait référencer à rien.
Dans cet ouvrage, Jean-Yves Bosseur, avec son encyclopédisme habituel, dresse un état des lieux raisonné des rapprochements, fusions, juxtapositions, opposition,etc., de musiques traditionnelles (ou extraeuropéennes) avec la création contemporaine, disons occidentale, cas par cas. Ce sont surtout les musiques orientales ou africaines qui sont concernées, une influence qui a également marqué le jazz, le free jazz et le rock. Cela fonctionne dans les deux sens, puisqu’il est aussi question de compositeurs orientaux, tel Zad Moultaka qui se frottent à la musique contemporaine occidentale.
On y aborde aussi les relations avec le jazz et le rock, et une aire de fusion (d’autant plus si on y ajoute l’électroacoustique), quand on pense à des Franck Zappa ou Pierre Henri, voire des groupes comme Emerson Lake and Palmer (non évoqué dans ce livre). Ce qui ouvre le débat sur les musiques écrites ou de tradition orale et l'improvisation.
Il manque peut-être, dans cette recherche de souffles et sons nouveaux, on dira « exotiques », ou confrontation exogène, l’intérêt que l’on peut porter au passé, de la musique baroque qui évolue ici et là vers des formes modernistes, voire parfois jazzistiques, mais surtout moins commercialement comme le pratique Philippe Hersant, puisant du neuf dans les musiques du xvie siècle.
Jean-Yves Bosseur a dressé un catalogue très dense d’œuvres et de plus de trois-cents compositeurs et de leurs démarches et réflexions, qui montre, dans une pratique qui semble simple et identique, une incroyable diversité d’approches et de justifications, dont celles de Jean-Yves Bosseur lui-même.
Les ombres au tableau sont la commercialisation à outrance, l’uniformisation aseptisée, menées par les pouvoirs médiatiques, mais aussi une crainte d’uniformisation technique par globalisation et assèchement (galvaudage ?) des sources originales. Et derrière l’ombre la lumière le fait que ce livre donne envie d’écouter les musiques qu’il évoque.
Ce livre est complété par un excellent apparat savant, dont un lexique illustré des instruments de musique cités dans le texte.
Jean-Marc Warszawski
19 janvier 2023
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