musicologie

26 mars 2023 — Jean-Marc Warszawski

Margarita Höhenrieder : Chopin et le pari du son

Margarita Höhenrieder, Orchestra Scintilla, sous la direction de Riccardo Minasi, Frédéric Chopin, 1er concerto opus 11 en mi mineur, et dix mazurkas. Solo musica 2022 (SM 400).

Enregistré à Zürich, les 4-7 octobre 2021 (concerto) et à Zug, 28-30 février 2022 (mazurkas).

Margarita Höhenrieder, inconnue en France, est une pianiste très estimée en Allemagne, qui a entre autres travaillé avec Leon Fleisher et Alfred Brendel. Parmi ses nombreux Prix on compte celui du Concours Busoni, décroché à l’âge de 25 ans. Elle a joué dans les hauts lieux musicaux allemands avec l’Orchestre symphonique de la Bayerischen Rundfunks, la Philharmonie de Munich, la Staatskapelle de Dresden, l’Orchestre de la Gewandhaus l’Ochestre du Mozarteum de Salzburg, l’Orchestre de chambre Gustav Mahler, sous la direction de Kirill Petrenko, Claudio Abbado, Lorin Maazel, James Levine, Riccardo Chailly, Fabio Luisi. Son centre de gravité est lesté par Johann-Sebastian Bach, Wolfgang Amadeus Mozart et Ludwig Beethoven, voire Clara et Robert Schumann. Mais sa discographie, forte de plus d’une quinzaine de volumes, montre qu’elle ne boude pas la musique contemporaine pour avoir enregistré des œuvres, qui lui sont en partie dédicacées, d’Harald Genzmer (1909-2007). Elle enseigne à la haute école de musique de Munich.

On passera sur le couplet et refrain incontournable à propos de la vérité sonore du temps passé, et du son Pleyel que Chopin affectionna dès 1831 (Margareta Höhenrieder joue un piano de même facture de 1855, convenant à son projet musical et à la salle où l’œuvre a été enregistrée). Notons que Chopin a composé ce concerto en 1830, il en a créé l’allegro, avec succès (pour ce qui nous reste de témoignages), sur un piano viennois Streicher, le 11 octobre, au cours de son concert d’adieu à Varsovie, avant son départ de Pologne. Il rejoue cet allegro à Vienne le 11 juin 1831. On y trouve dans la presse du lendemain des réserves sur quelques longueurs et la faiblesse de l’orchestration. Il crée son concerto au complet dans les salons Pleyel à Paris, le 26 février 1832, avec au même programme la fameuse marche pour six pianos de Kalkbrenner.

En fait Chopin a très peu donné de concerts, jamais dans de grandes salles et n’a jamais enregistré de disques. Nous trouvons toujours un peu cocasse cet historicisme qui prône la recherche de la vérité du son ancien sur un disque. Bref, pour maintes raisons, on ne peut pas reconstituer le passé.

En réalité, jouer sur instruments anciens est une idée moderne, en rajoute aux palettes sonores disponibles, apporte de la diversité. Dans le fond, il est tout à fait légitime de jouer sur instruments anciens, non pas pour reproduire le passé qui révélerait on ne sait quelles vérités, mais pour l’expérience sonore, la curiosité, l'envie. En musique, il ne peut y avoir de vérité historique, elle ne peut-être que musicale au moment d'être.

On a parlé de la faiblesse, du peu d’intérêt de l’orchestre de Chopin. C’est presque vrai, du moins on peut le penser.

C’est du romantisme allemand, avec quelque chose de Beethoven, comme le remarquait Robert Schumann, mais ne transcende rien. Justement, il met d’autant plus en valeur le piano. Ce n’est pas tant que l'orchestre soit discret ou particulièrement dévoué, il est ailleurs, à côté, il est autre chose, il ne bataille pas les arabesques pianistiques ni la saveur mélodique si particulière de Chopin. Piano et orchestre ont à se dire, mais ne cherchent pas à fusionner ni à s’imposer l’un à l’autre. Ils ne partagent pas vraiment leurs logiques respectives, et le piano y gagne une apparente liberté.

L’Orchestra la Scintilla (instruments anciens), prouve ici tout de même que l’orchestre Chopin est un très bel orchestre des plus efficaces, quand il est soigné avec souplesse, habileté à la nuance, avec élégance, précision aux accents soutenus, et dès l’entrée du piano, c’est grandiose et le reste de bout en bout, avec une romance sans mièvrerie qui soulève des soupirs d’admiration, avec un piano splendide en vol de beauté sans escale et sans trou d’air, que c’en est jusqu’au bout ravissement sur ravissement.

Contrairement à une petite appréhension, les dix mazurkas, puisées dans les opus 6 à 59, forment une postface cohérente, d'une fragiité et d'une solitude touchantes.

 

 Jean-Marc Warszawski
26 mars 2023


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Dimanche 26 Mars, 2023 4:24