9 février 2023 — Jean-Marc Warszawski
Marin Marais, La Gamme, Les Timbres, Yoko Kawakubo (violon), Myriam Rignol (viole de gambe), Julien Wolfs (clavecin), La gamme en forme de petit opéra, Sonate à la Maresienne, Sonnerie de Sainte-Genneviève-du-Mont. Château de Versailles 2022 (CV 5074).
Enregistré les 6-9 juin 2020, Salle des Actes, collège Victor Hugo à Besançon.
Quand en 1723 il publia sa Gamme et autres morceaux de symphonie, pour violon, viole et clavecin, c’est-à-dire « La gamme », la « Sonate à la Maresienne » et la « Sonnerie de Sainte-Geneviève-du-Mont de Paris », Marin Marais allait sur ses soixante-dix ans. Depuis ses débuts, en 1675, dans l’orchestre de l’Académie royale (l’Opéra), il a servi la couronne durant cinquante ans. Il fut par la suite ordinaire de la musique de la chambre du roi pour la viole et aussi compositeur avec quelques succès, mais aussi des échecs.
En 1723, le « siècle » de Louis xiv est révolu, la régence qui avait quitté Versailles a cédé sa place à un nouveau roi, Louis xv, qui y revient après avoir été déclaré majeur et bon pour le trône à l’âge de 13 ans. Mais c’est un autre monde qui advient.
Bien que Marin Marais publiât un cinquième livre pour la viole en 1725, on peut penser, cela ne coûte rien et donne des idées, que ces trois œuvres sont un testament musical. Pour le monde disparu, pour la vieillesse terminale ou pour son instrument qui n’enthousiasme plus tant… Ou pour le monde renouvelé qui se profile, car un testament est une aussi une mise sur l’avenir. En 1740, un ancien secrétaire d’État, réputé pour ses excentricités, Hubert Le Blanc, publie un livre à succès Défense de la basse de viole contre les entreprises du violon et les prétentions du violoncelle.
Ce sont trois compositions très remarquables, aux contraintes exigeantes, une signature musicale.
La Gamme, est une œuvre-fleuve d’une quarantaine de minutes, dont les épisodes, comme son nom l’indique, visitent dans l’ordre le ton de chaque note en montant la gamme diatonique, do, re, mi, fa, sol, la, si do, puis en descendant, si, la, sol, fa, mi re do, en passant imperceptiblement d’une tonalité à l’autre. L’enregistrement divise cette pièce en 15 plages, une par ton, et l’ensemble marque souvent de manière cadentielle le passage d’une armure à l’autre. Il n’est pas certain que ce soit le but du jeu, mais le choix est justifié : la partition indique « En forme de petit opéra ». Bien fort est qui imaginera un livret liant ces 15 scènes (en continue dans la partition), mais au moins cela légitime la succession d’arias, de danses, de questions-réponses en écho. La densité musicale y est étonnante, la virtuosité polyphonique et les sophistications rythmiques magnifiques.
Ces qualités ne manquent pas aux deux autres pièces qui sont aussi des sommets de l’art de la variation musicale et de l’expression, dans le foisonnement du duo violon et viole, de gaité à mélancolie. La sonate à la Maresienne (Maraisienne) est évidement testamentaire, avant un autre challenge qui est la Sonnerie de Sainte-Geneviève-du-Mont, une passacaille plus obstinée qu’une passacaille obstinée, sur trois notes de basse qu’on suppose être la volée des cloches de l’église que Marin Marais pouvait entendre, re fa, mi, mais comme cela démarre en appogiature on entend fa, mi, ré, un temps fort mélodique sur fa, un temps fort rythmique sur re premier temps, un rythme tournant qui devient vite hypnotique, même si le mi, temps faible, est ici, à notre goût, un peu trop marqué (mais c’est ainsi plus « coulé »). Trois cents mesures au cours desquelles le compositeur démontre son génie de la variation et son art du jeu de viole qui est ici particulièrement virtuose.
Les trois Timbres, Yoko Kawakubo, Myriam Rignol, Julien Wolfs, biens dentelés, compostent cet enregistrement avec brio, l’entrain et le dansant, la gouaille même et le chantant des nouvelles générations baroques.
Marin Marais, La Gamme, « Ut I », plage 1.
Jean-Marc Warszawski
9 février 2023
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Dimanche 19 Février, 2023 21:29