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20 janvier 2023 — Jean-Marc Warszawski

La violence en musique

Muriel Joubert et Denis Le Touzé (direction), La violence en musique. « Mélotonia », Presses universitaires de Lyon, 2022 [560 p. ; ISBN 978-2-7297-1233-2 ; 22 €].

Il est bien peu aisé de rendre compte utilement d’un tel ouvrage au titre aussi précis et inspirant que son contenu collectif est peu globalement saisissable.

Cela ne tient pas à la qualité intrinsèque des articles présentés. Il y en a d’excellents comme celui de Cécile Carayol sur les musiques des films de guerres, d’autres en recherche d’une expression savante genre universitaire dont on ne saisit pas l’objet, d’autres qu’on trouvera sans intérêt ou peu révélant : c’est la destinée du genre.

Le trouble n’est pas spécialement lié à ce livre, mais ce livre l’illustre avec quelque exemplarité.

D’abord parce que la musicologie n’a pas d’objet d’étude scientifique en propre. De ce point de vue, c’est plutôt l’auberge espagnole. Il n’y a pas un objet qu’on pourrait appeler « musique », pas plus qu’il y a du fruit ou du légume. C’est la une abstraction d’abstractions. Ce que nous pouvons observer de la réalité est une permanence d’activités sociales qui produisent et profitent de la musique, que ce qu’on appelle musique est une complexion sonore, mais au résultat, une infinité d’activités et de constructions sonores sont concernées  on a bien tort de penser que cela puisse s’exprimer pas des formules aussi globalisantes que définitives.

Les musicographes, qui s’intéressent aux musiques et ont le goût d’en dire et d’en écrire, d’y réfléchir, d’animer la réflexion, ont accédé au rang universitaire par l’invention musicologique, mais c’est souvent plus l’apparat que les contenus qui tient l’édifice.

Les récentes réformes universitaires, privilégiant, pour des raisons tant budgétaires qu’idéologiques l’ingénieur au docteur, sommant l’université qui cultive et forme à la pensée critique de devenir une grande école formant à des métiers, ont accéléré et approfondi les conséquences nuisibles de cette mauvaise coupe, en affaiblissant dans les départements de musicologie les dimensions sociologiques, esthétiques, historiques, qui sont les accroches des activités musicales au monde… La science, les métiers de la musique, appartenant aux musiciens et aux conservatoires, les grandes écoles.

Au résultat les activités relevant de la musicologie ont implosé en une multitude de segmentations ou créneaux qui au lieu de s’ouvrir au collectif s’isolent et se protègent, car ils sont aussi des fonds de commerce. Une myriade de microscopes qui observent des petits bouts, mais qui ne communiquent pas entre eux, qui n’œuvrent pas à une philosophie commune, au moins un débat commun.

Cela explique ce livre, où pratiquement aucun intervenant ne disserte directement sur le sujet proposé, mais y ramène son fond de tiroir, au mieux et rarement, en prenant la peine de le justifier.

Pourtant, quel que soit le petit pré carré, on aurait pu chercher à caractériser la notion de violence et ses liaisons possibles avec les faits musicaux, et proposer des communications communicantes entre elles afin d’instituer débat et réflexions de portée générale autour du sujet.

Il aurait fallu interroger bien plus profondément la notion subjective de violence qui peut autant caractériser une émotion esthétique qu’un acte de barbarie. Une sensation sans conséquence ou une véritable atteinte à l’intégrité des personnes. La violence ressentie par une partie des spectateurs à la création du sacre du printemps n’est pas la même que les abominations infligées au son d’un orchestre, dans les camps de la mort, ni l’utilisation de la musique (son, intensité) comme instrument de torture utilisé par les services secrets américains à Guantánamo. Ces choses ne sont pas de même nature. Travailler d’abord, cela aurai été bénéfique à chaque communication, l’étendue et les chaînes sémantiques de cette notion de violence et les réalités qu'elles peuvent caractériser, pour en définir la particularité de celle qu’on désirait traiter, aurait permis de préciser les relations à la musique.

Celle-ci ne porte aucune volonté en propre, on ne peut lui imputer aucune intention autonome. Il s’agit donc de son utilisation ou de sa production pour ce qui concerne les musiciens, qui vivent aussi dans leur métier des multiples nuisances qu’on peut considérer comme des violences et bien sûr de son audition. En réalité la question est de savoir comment la musique peut évoquer les différents types de violence, que ce soit dans les Passions bibliques, l’évocation de la colère de Dieu, l’évocation de la mort, de la souffrance, de la frayeur (fabuleux Chants et danses de la mort de Moussorgski, Erlkönig de Schubert, etc.), et comment nous intégrons ces codes et intentions. Cela est autre chose que d’accompagner des images de film, mais là encore quels trucs et codes employaient les organistes et pianistes qui accompagnaient les films muets pour les scènes de violence ? Y a-t-il des musiques ou des chants, un genre, de musique ou de chants violents à la guerre, à la révolution ?  Les anciens Grecs croyaient en des musiques capables d’effrayer l’ennemi au combat. Comme nous l’avons évoqué, qu’en est-il de manière large d’utilisations déviantes, sadiques de la musique ? N’y a-t-il pas de violence jouissive de l’intensité du son dans les discothèques, le disco, la techno ? Il a aussi une positivité, un plaisir de la violence. René Descartes s’interrogeait sur le fait que nous prenions autant de plaisir aux Comédies qu’aux tragédies.

Dans tous ces cas, la musique n’est ni la violence ni sa compagne, elle esthétise la violence, on peut imaginer qu’elle en porte les émotions au paroxysme, mais qu’elle évite aussi, notamment à l’opéra, une démonstration réaliste de la violence. C’en serait donc aussi une atténuation la rendant supportable et plus agréable... Ce qui débouche sur l'inépuisable question à propos de ce que la musique peut exprimer.

Nous pensons qu’un livre collectif n’est pas le lieu où on apporte nécessairement son étalage, mais où on se sert de son bagage, on peut même l’étaler, pour alimenter une réflexion collective, provoquer des interrogations, aller chercher les problèmes derrière les problèmes. Je ne pense pas que ce livre y ait répondu, malgré la qualité de la majorité de ses communications qui ne nous semblent malheureusement pas alimenter le sujet proposé.

plume 7 Jean-Marc Warszawski
20 janvier 2023
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Avant-propos, Muriel Joubert
Préambule : Tue, Lambert Dousson

Ancrages rituels et primitifs

Violence et scènes opératiques et filmiques

Politique, guerre et violence ; la violence musicale dans la société


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Lundi 30 Janvier, 2023 21:55