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20 avril 2023 — Jean-Marc Warszawski

Karina Gauvin dit et chante l’histoire de Marie Hubert, fille du Roy

Karina Gauvin en Marie Hubert, « fille du Roy », 15 avril 2023, Bibliothèque musicale Lagrange-Fleuret, Paris. Photographie @ musicologie.org.

 

À l’initiative de la maison de disques ATMA, un commando de la musique classique québécoise débarquait à Paris et squattait, les 14, 15 16 avril dernier, les salons de la Bibliothèque musicale Lagrange-Fleuret (ex Gustav Mahler). On connaît en France pas mal de la magnifique chanson du pays poudré de neige, signée Félix Leclerc, Jean-Pierre Ferland, Gilles Vigneault le magnifique poète, le brasseur de bière Robert Charlebois, Diane Dufresne, Fabienne Thibault, Plume Latraverse, etc., etc., beaucoup moins la musique classique, peut-être un peu avec l’ensemble baroque les Violons du roi ou l’Orchestre symphonique de Montréal ou se sont tout de même succédé les chefs Otto Klemperer, Igor Markevitch, Zubin Mehta, Charles Dutoit, Kent Nagano…. Et de fameuses voix lyriques avec entre autres celles de Marie-Nicole Lemieux et Karina Gauvin.

Cette dernière concluait, en chair en os et en xviie siècle, les journées québécoises. Très appréciée bien au-delà du Québec, mais particulièrement au Québec, la soprano, choriste depuis très jeune, a laissé choir des études d’histoire de l’art au profit du Conservatoire de Montréal puis de l’Académie Royale de musique de Glasgow. Son premier grand rôle d’opéra fut Pamina (La Flûte enchantée, Mozart) au Grand théâtre de Québec. Elle a chanté aux États-Unis, en Angleterre, Espagne, Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Italie, très appréciée dans le monde baroque dans lequel elle n’est pourtant pas cantonnée.

Elle est apparue en France, à Beaune dans le rôle-titre de Rodelinda (Händel) en 2006, puis, entre autres, à Paris, au Théâtre des Champs-Élysées en Teutile (Motezuma, de Vivaldi), Seleuce (Tolomeo, Händel), Armida (Rinaldo, Händel), Cléopâtre (Jules César, Händel), Vitellia (La Clémence de Titus, Mozart), les rôles-titres de Partenope et d’Olympie (Spontini), en récital avec Sandrine Piau, de nouveau à Beaune dans Ginevra (Ariodante, Händel) et à l’Opéra royal de Versailles où elle est également Melissa (Amadis de Gaule, Händel), dans le rôle-titre d’Alcina (Händel) repris à Angers, le rôle-titre de Niobe, Reine de Thèbes (Steffani) à Bordeaux, Vénus (Dardanus, Rameau), en juin prochain, elle sera Margherita dans Fausto de Louise Bertin au Théâtre des Champs-Élysées. … Sans parler de son impressionnante discographie.

Ce soir, elle est accompagnée du pianiste Pierre Meclean dans un programme très particulier : L’Histoire de Marie Hubert, fille du Roy.

On appelle « filles du roi », les 700 à 1 000 jeunes femmes qui, sous Louis xiv, à la fin du xviie siècle, ont été déportées de France pour fournir épouses, enfants et bras vaillants au Québec, où l’implantation coloniale stagnait, dans un pays d’hommes essentiellement occupés au commerce des fourrures. Elles sont les mères de la patrie, choisies pour leur robustesse, leur moralité (et religiosité), leur physique agréable, dans les couches pauvres de la population et les orphelinats. Une grande partie d’entre elles furent dotées par la couronne, reçurent un trousseau, du matériel de couture. La traversée, longue et éprouvante, mortelle pour un bon nombre, fut aussi payée par les services royaux. Certaines furent aussi dotées en terres. Elles se marièrent en moyenne cinq mois après leur arrivée et donnèrent au Québec plus de 4 000 nouvelles et nouveaux habitants.

Marie Hubert est une ancêtre de la soprano. Le récit commence à Paris où dans l’estimation du pour et du contre de l’offre royale, la perspective d’une terre nouvelle en moins de misère l’emporte. Il se termine après la mort du mari, au seuil d’un nouveau départ. Chaque épisode (départ, voyage, mari, enfants…) est ponctué par un chant du folklore français ou québécois, savamment harmonisé. Un folklore pour salons bourgeois plus xixe siècle que de place du village au xviie siècle.

Un spectacle, raconté à la première personne, où la légèreté et l’humour de ton, la bonne composition de Marie Hubert qui raconte, la fin heureuse, permettent de ne pas s’apitoyer sur la misère qui poussa à émigrer et la vie dure et éreintante qui fut celle de ces colons ruraux.

Ce spectacle et le cédé en diront plus à celles et ceux qui ont déjà lu de cette littérature prisée au Québec, souvent à travers des sagas familiales, touchant à cette lutte avec la nature se situant entre la fin du xviie siècle et en général la Première ou Seconde Guerre mondiale. Un monde coincé l’hiver par le froid et la neige, gagnant les lopins cultivables (quand le gel a quitté la terre) par le déboisement, le dessouchage, le dépierrage, le travail saisonnier dans les chantiers pour arrondir les fins de mois, la prédation des ours, des loups, les inondations, les blocs de glace emportant tout sur leur passage à la déglaciation, l’autorité des curés, les morts qu’on ne peut pas enterrer dans le sol gelé, les frictions avec les Anglais et les Irlandais… Les fondements de la québicité.

 

plume 7 Jean-Marc Warszawski
20 avril 2023
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