Théâtre de la Monnaie, Bruxelles, 18 mai 2023, par Frédéric Léolla.
Henry VIII, La Monnaie. Photographie © Matthias Baus.
Le Théâtre royal de la Monnaie a souvent l’audace et l’élégance (qui font souvent défaut à l’Opéra national de Paris) de récupérer de grandes œuvres semi-oubliées du patrimoine lyrique francophone.
Il en fut le cas en 2011 avec Les Huguenots de Meyerbeer. C’est le cas en 2023 avec Henry VIII, véritable chef d’œuvre qui n’a rien à envier à d’autres opéras de la même période comme Simon Boccanegra revisité par Verdi/Boito, Manon de Massenet ou Lakmé de Delibes, chacune dans son style, bien évidemment.
Henry VIII est cohérent, élégant, n’invente rien, certes, mais mène au plus haut degré de raffinement le modèle de Grand Opéra français, avec des personnages très bien dessinés musicalement, avec leurs débats internes et leurs évolutions psychologiques, avec des scènes imposantes sans être tape-à-l’œil, avec des situations bien choisies. Et surtout, avec une très grande beauté mélodique, soutenue par un vague système de motifs conducteurs (eh oui, c’est déjà l’influence wagnérienne). La mélodie de Saint-Saëns est sans doute débitrice de celles de Gounod ou Meyerbeer, mais elle n’en est pas moins personnelle, tout autant que celle de Massenet.
C’est donc un régal pour le spectateur-auditeur que de redécouvrir cette partition où pas une seule note n’est en trop. Pas même celles du ballet que La Monnaie a la bonne idée de nous servir, ne serait-ce qu’en enregistrement, pendant l’entracte.
Cela aurait été un événement majeur si en plus nous avions eu une distribution musicale extraordinaire. Elle n’est que discrète. Certes, Lionel Lhote, même s’il n’a pas la carrure d’un Van Dam (pour citer un compatriote), a une voix toujours bien placée, avec des aigus percutants et très bien utilisés pour suivre les recoins de son personnage. Par contre Marie-Adeline Henry rate systématiquement ses notes aigües qui deviennent criées, et les aigus de Nora Gubistch manquent d’harmoniques. Dommage, ce n’était peut-être pas leur bon jour. Pas le bon jour non plus (ou même le mauvais) d’Ed Lyon, à l’émission difficile, aux aigus étranglés. Et c’est le (très) vétéran Vincent le Texier qui s’en sort le mieux malgré sa voix fatiguée. Sans compter, ça oui, les voix très bien portantes d’Enguerrand de Hys et de Jerôme Vanier, qu’il fait bon d’écouter.
Un chœur et un orchestre efficaces, qui ne portent pas au dithyrambe, mais qui font leur travail honnêtement, avec de bons solistes. Un chef, Alain Altinoglu, qui sait transmettre la finesse et la passion dont l’œuvre est empreinte.
Par contre, une mise en scène catastrophique, où Olivier Py enfonce des portes ouvertes (en faisant apparaître Anne lorsque Henry monologue sur l’amour, ou paraître un figurant pour signifier le duc de Buckingham lorsqu’on parle de lui, etc.), qui à défaut d’idées use et abuse de l’utilisation de danseurs (dont la présence devient carrément insupportable), qui utilise les grands effets à mauvais escient (l’apparition de Henry VIII à cheval peut impressionner le chaland, mais empiète sur le chant du pauvre Lionel Lhote), qui tombe dans le contresens (lorsqu’un Henry torturé par l’amour au contraire fait semblant de torturer le figurant Buckingham), qui est banale dans sa simplicité (rouge pour la maîtresse, noir pour la femme pieuse), banale dans son utilisation d’éléments (statues, petit lit de campagne, etc.), banale dans sa direction d’acteurs (réduits à monter ou descendre des différents éléments sur scène, tables, chaises, etc., ou à déambuler sur scène sans un but fixe, en dansouillant), banale en somme… Parmi les pires travaux d’Olivier Py, et sans aucun doute le pire de cette saison.
Dommage.
Et pourtant, en écoutant cette superbe partition, grâce surtout à Lhotte, Altinoglu et les chœurs et orchestre de La Monnaie, le public pouvait sentir qu’il avait le privilège de redécouvrir un fleuron de L’Opéra français.
Merci donc — malgré tout le reste — à La Monnaie.
Bruxelles, jeudi 18 mai 2023. Théâtre Royal de la Monnaie. Henry VIII, opéra en quatre actes et six tableaux. Musique de Camille Saint-Saëns. Livret de Pierre Léonce Détroyat et Armand Silvestre d’après William Shakespeare et Pedro Calderón de la Barca. Mise en scène, Olivier Py. Décors et costumes, Pierre-André Weitz. Éclairage, Bertrans Killy. Avec Lionel Lhote (Henry VIII), Ed Lyon (Gomez de Féria), Vincent Le Texier (cardinal Campeggio), Engurrand de Hys (Comte de Surrey), Werner Van Mechelen (Duc de Norfolk), Jerôme Varnier (Cranmer), Marie-Adeline Henry (Catherine d’Aragon), Nora Gubisch (Anne de Boleyn), Claire Antoine (Lady Clarence), Alexander Marev (Garter/un officier), Leander Carlier (huissier de la cour), Alessia Tahis Berardi, Annelies Kerstens, Lieve Jacobs, Manon Poskin (dames d’honneur), Alain-Pierre Wingelinckx, Luis Aguilar, Byoungjin Lee, René Laryea (quatre seigneurs). Orchestre symphonique et chœurs de La Monnaie. Académie de chœurs de la Monnaie s.l.d. de Benoît Giaux. Chef des chœurs, Stefano Visconti. Direction musicale, Alain Altinoglu.
Du même auteur : Grande émotion à Zürich — Kurwenal et Brangäne à Valencia — Don Pasquale à Palerme : seuls contre tout — Don Giovanni à Valencia : passion et surtexte, Valencia.
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Vendredi 2 Juin, 2023 1:48