Zürich, Opernhaus, dimanche 7 mai 2023.
Roméo et Juliette, Opernhaus Zürich. Photographie © Herwig Prammer.
Après Faust, c’est sans doute Roméo et Juliette l’opéra le plus populaire de Gounod. Le public parisien avait eu la chance la saison dernière d’assister à une belle production à l’Opéra-Comique, où Pene Pati a fait fureur. Il pourra réécouter la même œuvre dans une autre production à l’Opéra Bastille dans un mois avec une distribution prestigieuse.
Fin mars, ARTE a eu la bonne idée de transmettre la présente production zurichoise, dont la distribution est non moins alléchante. Sauf que les problèmes de son (prise de son pas terrible, effets sonores nuisibles de la mise en scène) et les problèmes de coordination fréquents lors des premières ont quelque peu terni, pour certains aficionados, cette transmission.
Il fallait venir sur place un peu après pour rendre en effet pleine justice à cette production.
L’équipe, comme souvent à Zurich, est de très bon niveau
Les personnages qui gravitent autour des deux protagonistes sont parfois issus de leur propre « chantier », leur propre atelier lyrique, avec d’excellents résultats.
Du Pâris fort crédible d’Andrew Moore à la Gertrude très en voix de Katia Ledoux, en passant par un bon Gregorio (Jungrae Noah Kim), tous ont de très jolis instruments, bien maniés.
David Soar a une belle voix, et si ses moyens ne sont peut-être pas formidables, il en tire parti très intelligemment pour incarner Capulet, le père de Juliette.
Roméo et Juliette, Opernhaus Zürich. Photographie © Herwig Prammer.
Certes, le Mercutio de Yuriy Hadzetskyy pourrait être plus idiomatique, et donner plus de sens à ses mots — surtout pour un monologue de la reine Maab ou la parole est essentielle — mais, encore une fois, le joli timbre et le très joli vibrato font de lui un chanteur estimable. Surtout, à l’avenir, pour des œuvres dont il connaîtra la langue.
Omer Kobiljak compose un Thibald de Grand Théâtre de par son volume et de par son assurance dans le chant. À l’aise sur toute la particella, il réussit à donner beaucoup d’émotion (lui aussi), en particulier au moment de la mort du personnage. Un chanteur qui commence sa carrière. On lui souhaite un bel avenir.
Bel avenir aussi à la jeune basse américaine Brent Michael Smith. Non seulement son personnage de prêtre soucieux du bonheur des adolescents est tout à fait crédible, mais aussi son chant est noble, avec un bon phrasé. Et lors de la description des effets du narcotique, il réussit à créer — grâce aussi à Robert Fores qui dans la fosse le rend possible — un moment de grande poésie.
Svetlina Stoyanova profite bien de son air pour montrer une voix séduisante, puissante, qui se joue de toutes les difficultés techniques, qui arrive avec aisance à ses aigus (même ceux qui pourraient être juste pointés), et qui campe en quelques minutes un Stéphano savoureux. Brava.
Quant à Julie Fuchs, son investissement force le respect. Il ne s’agit pas de perfection technique – ce n’est pas ce que Fuchs cherche pour ce rôle terrible qui commence comme une jeune fille soprano-léger et finit presque en soprano dramatique. Il s’agit surtout d’incarnation et d’émotion. De ce point de vue, il est difficile de trouver mieux. Chaque mot a son sens, chaque geste est justifié, chaque note nous dit quelque chose sur Juliette. Très belle réussite.
Et superbe réussite aussi celle de Benjamin Bernheim. L’émission souveraine, la facilité époustouflante, le sens du personnage… Des moyens formidables grâce à une technique superbe et une intelligence théâtrale et musicale hors-norme. Chaque fois qu’il ouvrait la bouche, c’était une surprise. Mémorable.
Roméo et Juliette, Opernhaus Zürich. Photographie © Herwig Prammer.
Mais tout cela n’aurait pas été possible sans un grand chef dans la fosse. Et il était là.
Robert Fores Veses n’est pas du genre « chef médiatique qui paraît vingt fois par jour sur les réseaux sociaux ». Il est par contre, et surtout, un chef intelligent qui a un sens musical formidable, qui connaît très bien le métier et les œuvres qu’il dirige (c’est d’ailleurs un des rares chef à proposer en concert des morceaux qui sortent un peu du Grand répertoire, et en bons aficionados nous lui en savons gré), qui fait une belle carrière et qui est de plus en plus apprécié par les connaisseurs.
Attentif à toutes les entrées, chantant toute la partition de A à Z (pas besoin de souffleur avec lui!), d’une gestuelle toute personnelle et très expressive, Forés Veses est extrêmement attentif aux chanteurs, les accompagne, les guide, les rassure, et leur permet toutes les nuances, toutes les inflexions de voix, en maîtrisant son orchestre – orchestre dont il tire une diversité, une intensité, qui rendent parfaitement justice au chef d’œuvre de Gounod. Toutes les phrases orchestrales, tous les préludes (surtout si on dissocie ces derniers de ce qui se passe en même temps sur scène, souvent d’une grande banalité), ont été autant de moments d’émotion. Sans aucun doute une très belle direction musicale.
Orchestre et chœurs, de très bon niveau, ont surtout le mérite de leur grande réactivité, suivant les indications du chef (qui souvent demandait aux instrumentistes de modérer leur volume) au millimètre.
Quant à la mise en scène, elle a les défauts de ses qualités. Soutenue par deux idées (un plateau pratiquement vide où il n’y a que des chaises, et qui de surcroît rétrécit au fur et à mesure que le drame avance), l’espace vide et trop profond créée un effet sonore de « chanteur dans boîte de chaussures » plutôt désagréable (et appréciable lors de la transmission ARTE), et de temps en temps on entend le bruit des machines qui font avancer la paroi du fonds. Sans compter la lassitude et la confusion que peuvent toujours entraîner le concept de « décor unique ».
Par ailleurs, grand mérite de cette mise en scène, une excellente direction d’acteurs. Et de jolis costumes de fête.
Au total, la partition de Gounod émeut jusqu’aux larmes grâce à cette bonne direction d’acteurs, grâce à des chanteurs plus que talentueux, grâce à des corps artistiques de très haut niveau, et grâce à un chef d’orchestre exceptionnel. Merci à tous.
Roméo et Juliette, drame lyrique en cinq actes. Musique de Charles Gounod. Livret de Jules Barbier et Michel Carré, d’après la tragédie de William Shakespeare. Mise en scène, Ted Huffman. Décors, Andrew Lieberman. Costumes, Annemarie Woods. Création lumières, Franck Evin. Chorégraphie, Pim Veulings. Dramaturgie, Fabio Dietsche. Avec Julie Fuchs (Juliette), Benjamin Bernheim (Roméo), Brent Michael Smith (Frère Laurent), David Soar (Comte Capulet), Yuriy Hadzetskyy (Mercutio), Svetlina Stoyanova (Stéphano), Omer Kobiljak (Tybald), Katia Ledoux (Gertrude), Valeriy Murga (le duc de Vérone), Andrew Moore (le comte Paris), Jungrae Noah Kim (Gregorio), Maximilian Lawrie (Benvolio), Alison Duarte, Maarten Krielen, Davide Pillera, Roberto Tallarigo, Sina Friedli, Elena Paltracca, Alice White, Oriana Zeoli (danseurs). Chor der Oper Zürich. Chef de chœur, Ernst Raffelsberger. Philarmonia Zürich. Direction musicale, Robert Forés Veses.
Du même auteur : Kurwenal et Brangäne à Valencia — Don Pasquale à Palerme : seuls contre tout — Don Giovanni à Valencia : passion et surtexte, Vamencia.
À propos - contact | S'abonner au bulletin | Biographies de musiciens | Encyclopédie musicale | Articles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale| Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil. ☎ 06 06 61 73 41.
ISNN 2269-9910.
Mardi 9 Mai, 2023 2:39