musicologie

Valencia, 4 novembre 2023 — Frédéric Léolla.

Encore un chef-d’œuvre dans une production idiote

Pan y toros. Photographie © Miguel Lorenzo / Les-Arts.

La zarzuela du xixe siècle espagnol est, grosso modo, l’équivalent de l’opéra-comique et de l’opérette, un genre de théâtre lyrique où s’alternent les numéros parlés et les numéros chantés, à vocation plutôt populaire. Pour le compositeur qui nous occupe, Francisco Asenjo Barbieri, ce sera aussi le véhicule privilégié pour construire un théâtre musical aux racines espagnoles, puisant dans les rythmes et les mélodies ibériques.

Les deux œuvres fondatrices donc du nationalisme musical espagnol (bien sûr avec des précédents et des antécédents) sont justement deux zarzuelas de Barbieri, El barberillo de Lavapiés, et ce Pan y Toros qui évoque le Panem et circenses romain sur un ton désenchanté et très critique. Ce sont deux œuvres dont le succès ne s’est pas démenti pendant des générations. Deux œuvres partant et pourtant qu’on voudrait voir plus souvent représentées.

Dans Pan y Toros, exploitant la formule de ses œuvres précédentes, Barbieri va plus loin. Il crée des scènes de rue évoquant à la fois la bigoterie et la joie de l’Espagne du xviiie siècle, où les différents choristes prennent en charge une petite phrase en solistes, créant ainsi une ambiance bigarrée similaire à celle que Jannequin suggère dans Les cris de Paris ou à celle que Gustave Charpentier construira superbement dans sa Louise.

Comment se fait-il qu’à Valencia, samedi 4 novembre, un tel chef-d’œuvre ait pu paraître lourd et ennuyeux à une bonne partie du public ? Quand une belle œuvre ne satisfait pas le public, on ne peut blâmer que les interprètes.

À commencer par une mise en scène qui, au lieu d’éclairer une trame pas toujours simple, s’évertue à l’embrouiller en ajoutant des personnages parfaitement superflus (encore des danseurs, bien entendu !) qui parasitent constamment la scène, en coupant les scènes là où il devrait y avoir un coup de théâtre (l’arrivée de la procession), en vidant de sens certaines autres (on ne comprend rien à la scène initiale du marché, et encore moins à celle de la procession), en mélangeant les décors (plutôt maladroits) de sorte qu’on ne sait jamais où se situe l’action ni si on est dedans ou dehors, en gérant de façon fort maladroite le mouvement du chœur (ce qui crée des moments de vide en pleine représentation, mal dissimulés par un son incertain de castagnettes), en substituant la direction d’acteurs par de simples mouvements de va-et-vient, en évitant de travailler la diction avec chanteurs et acteurs… Restons-en là, la liste des maladresses de cette mise en scène étant tellement longue qu’il serait facile d’ennuyer le lecteur avec leur simple énumération.

Si à cela nous ajoutons une direction musicale plutôt plate et qui ne tient pas compte des différentes capacités de chacun des interprètes, il est aisé que le public se soit montré plutôt indifférent au chef-d’œuvre de Barbieri.

Cela est bien dommage, car dans la longue liste de solistes, il y en a de très appréciables. Borja Quiza n’a peut-être pas la plus belle voix de baryton, mais il a toute l’intelligence théâtrale et la diction impeccable nécessaires à la zarzuela. Carol García, comme Princesse de Luján, brille par son beau timbre, sa parfaite diction, son art du chant et sa sensibilité : bravo. Belle prestation aussi celle de Ruth Iniesta comme la méchante (et piquante) Doña Pepita. Et c’est un luxe que de compter, pour un rôle mineur, avec une des gloires de la zarzuela, la toujours efficace et élégante Milagros Martín.

Pan y toros. Photographie © Miguel Lorenzo / Les-Arts.

Certes, dans une salle plus petite et avec un orchestre plus léger, on aurait peut-être mieux compris les airs chantés par Carlos Daza ou Enrique Viana (dont la petite voix, dans ces conditions, est incapable de se faire comprendre et de se faire entendre à la fois). Il en est de même pour les interventions des solistes tirés du chœur ou pour les rôles mineurs, qu’il est presque impossible de comprendre (tel est le cas du faux aveugle, par exemple). Et ne pas comprendre le texte dans une zarzuela ou dans un opéra-comique c’est un très grave problème sur lequel auraient dû veiller les deux directeurs, de scène et musical.

En effet, du côté orchestre, celui de la Communauté de Valencienne étant un des plus prestigieux de la péninsule, il aurait peut-être valu « l’alléger » pour être sûr de pouvoir maintenir l’esprit pétillant sans pour autant mettre à mal le confort des chanteurs. Et si le formidable chœur de la Generalitat Valenciana avait été traité avec un minimum d’intelligence par le metteur en scène, sans doute aurait-on tiré de meilleurs résultats… Mais l’intelligence scénique n’était pas au rendez-vous. Et de ce fait, le public est sorti du théâtre avec une vague sensation d’ennui. Ce qui est tout à fait injuste par rapport à la qualité de l’œuvre.

 

Frédéric Léolla
Valencia 4 novembre 2023
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Valencia, samedi 4 novembre 2023. Palau de les Arts Reina Sofía. Pan y Toros (Pain et taureaux), zarzuela en trois actes (1864). Musique de Francisco Asenjo Barbieri. Livret de José Picón. Mise en scène de Juan Echanove. Scénographie et costumes, Ana Garay. Éclairages, Juan Gómez Cornejo. Chorégraphie, Manuela Barrero. Video, Álvaro Luna.

Avec Borja Quiza (Capitán Peñaranda), Carol García (Princesa de Luzán), Ruth Iniesta (doña Pepita), Pedro Mari Sánchez (Corregidor Quiñones), Enrique Viana (Abate Ciruela), Milagros Martín (La tirana), José Julián Frontal (Goya), Amparo Navarro (Duquesa), Carlos Daza (Pepe-Hillo), Pablo Gálvez (Pedro Romero), Tomeu Bibiloni (Costillares), Pablo López (General), Alberto Frías (Santero), Angel Burgos (Jovellanos), Lara Chaves (ciega), Marcelo Solís (Ciego), Julen Alba (niño ciego), Fernando Piqueras (el del pecado mortal), Antonio Lozano (mozo de cuerda)

Cor de la Generalitat Valenciana. Chef de chœur, Francesc Perales. Orquestra de la Comunitat Valenciana. Direction musicale, Guillermo García Calvo.


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Samedi 11 Novembre, 2023 13:19