21 novembre 2023 — Jean-Marc Warszawski
Au bord du rêve, Aurélienne Breuner (violoncelle), Lorène de Ratuld (piano), Florilège de pièces pour violoncelle et piano de Franz Liszt, Igor Stravinski, Edvard Grieg, Claude debussy, Franz Schubert, Richard Wagner, etc. Paraty 2023 (PARATY 4231135).
Enregistré les 5-8 décembre 2021, collégiale Saint-Marcel de Prémery.
Aujourd’hui (comme hier déjà) les musiciens hors pair pullulent et les réseaux médiatiques saturent et nous saturent. Les cédés se vendent de moins en moins, on en enregistre de plus en plus. Contrairement à la technologie et au Beaujolais nouveau, l’art nouveau ne fait pas vendre, ne fait pas se vendre, peu osent assumer la musique contemporaine. Les interprètes ont tendance à exhumer les compositeurs « injustement oubliés », non sans bonnes surprises, les compositrices c’est mieux, à se réfugier dans la baroque qui est encore porteuse, à faire de la surenchère médiatique et d’excentricités (des enfants de chœur sans imagination comparés aux rockeurs des années 1970), qui peuvent friser le ridicule, voire la vulgarité, mais leurrés par la résonance de leur vase clos et les « like » des réseaux sociaux, ils ne s’en rendent pas vraiment compte. Tout cela est bien bruyant, comme ces émissions de télévision, où des crétins, les vrais et ceux qui les imitent, hurlent en même temps. Même la virtuosité transcendante, toujours appréciée des mélomanes, ne singularise plus vraiment. Pour ce qui les concerne, il semble que les pianistes aient remplacé la méthode rose par les études de Chopin et le Hannon par celles de Liszt, ou que les violoncellistes ont attaqué les suites de Bach dès leur troisième cours. Il y aurait encore, pour rester dans le xixe siècle pianistique hyper virtuose, malgré tout épuisable, Charles Valentin Alkan, mais les interprètes y mettraient leurs neurones en danger pour un rendement musical qui ne vaut peut-être pas le suicide. Bref sourions, mais il y a, sérieusement, un réel problème pour les musiciens entre le plan de carrière et le projet musical.
Et cet album qui contre-coure, se détourne du tumulte, aurait presque une allure de pas moderne s’il n’était révélateur de deux frissonnements. D’une part les interprètes se libèrent de l’idée qu’ils ne sont pas de simples passeurs de la pensée des compositeurs (une vision bien mystique et aussi une duperie), c’est-à-dire de conventions académiques congelées, ils sont au premier rang, les maîtres de l’émotion, mais aussi de plus en plus et tant mieux, ils se livrent aux arrangements pour étoffer leurs programmes, voire en font un genre à part entière. D’autre part, on ressent, frémissante, la naissance d’une appétence pour les concerts dans des salles à dimension humaines en surface et en vécu, le retour au salon ou au concert privé.
Aurélienne Brauner et Lorène de Ratuld, deux musiciennes à la carrière et à la renommée établies, se retrouvent depuis de nombreuses années pour boire des coups, mais aussi et surtout jouer de la musique. Après un premier cédé en duo, intitulé « Crépuscule », des sonates de César Franck, Gabriel Fauré, Louis Vierne (Anima 2018), elles restent du soir, « au bord du rêve », avec un florilège de berceuses et de rêveries, originellement pour piano et violoncelle ou des mélodies qu’elles ont arrangées.
Il y a de la simplicité dans l’air, de la diversité aussi, dans une interprétation virtuose, chantante, variée, qui diffuse, sans esbroufe, vibrations, émotion, plaisir. La belle mélodie est tout de même une valeur sûre.
Jean-Marc Warszawski
21 novembre 2023
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Mardi 21 Novembre, 2023 3:40