musicologie

28 avril 2023 — Jean-Marc Warszawski

Alice Ferrière chante Clara, Robert et Johannes

Clara notre étoile, Hommage à Clara Schumann, Alice Ferrière (mezzo-soprano), Nicolas Royer (piano), Pierre-Henri Xuereb (alto), Lieder de Clara Schumann, Robert Schumann, Johannes Brahms. Cascavelle 2023 (VEL 1680).

Enregistré les 20-25 avril 2022, Temple de Saint-Jean du Gard.

Le 19 avril dernier, la mezzo-soprano Alice Ferrière présentait son second album en compagnie du pianiste Nicolas Royez et de l’altiste Pierre-Henri Xuereb, dans les salons de l’hôtel Bedford à Paris. Un bel hôtel qui s’enorgueillit d’avoir eu comme hôte Heitor Villa-Lobos, lors de son arrivée à Paris en 1923, il y a cent ans. L’hôtel a gardé le goût de ce passé avec une belle plaque commémorative et un salon « Villa-Lobos » équipé d’un beau piano Steingraeber & Söhne (moderne).

Le programme de Lieder, intitulé « Clara notre étoile », est un hommage à Clara Schumann, avec de ses œuvres, aussi de celles de Robert et de l’ami fusionnel de la famille Johannes Brahms.

Parallèlement à sa scolarité, Alice Ferrière a étudié la clarinette au Conservatoire de la Réunion, plus tard, résidente à Paris afin poursuivre des études d’histoire et intégrer Sciences Po, au Conservatoire de Boulogne-Billancourt. C’est là que tout a dérapé quand Esthel Durand l’a poussée à tracer sa voix. Alice Ferrière a refermé ses livres d’histoire, rangé sa boîte de anches, replié les formulaires d’inscription à Sciences Po et a passé une dizaine d’années à la réputée Universität für Musik und darstellende Kunst (Université de Musique et d’Art dramatique) de Vienne, entre le plaisir du chant et de la littérature germanique, avant le cycle des classes de maître et des concours et la droite ligne en dents de scie des engagements sur scène d’opéra ou de récital. Elle a publié en 2019 un cédé de Lieder (Schumann, Berlioz, Strauss, Hahn…) sur le thème de la nuit (Paraty).

Elle est assez bavarde pour présenter la petite dizaine de Lieder de la soirée (25 sur le cédé), mais très à l’aise, parfois amusée. Elle nous parle des sentiments amoureux de ces poèmes dont elle apprécie tant la langue (Friedrich Rückert, Heinrich Heine, Emanuel Geibel…), ils peuvent être fort contrastés entre joie et abattement, espoir et déception, l’amour sans retour, espièglerie et tristesse, l’absence, la mort… Le romantisme quoi. De la nuit à l’amour.

Elle est relativement prude sur les liens amicaux amoureux qui unissaient le trio de génies, sentiments illustrés par le florilège de Lieder que nous allons entendre. Certes Clara et Robert Schumann s’aimaient, ils furent même terriblement têtus en amour contre un père qui espérait mieux que ce jeune compositeur miteux pour sa fille déjà célèbre, ou qui avait peut-être repéré qu’il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond chez ce jeune Robert Schumann, qu’il accusait d’alcoolisme peut-être de bonne foi. En tout cas ces deux-là arrachèrent leur mariage au tribunal. Quand Johannes Brahms, pour approcher le compositeur adulé débarqua chez eux, Robert Schumann en fut ébloui. Il n’y a pas l’amour de Clara et Robert d’un côté et l’amitié de Johannes de l’autre, il y a de l’amour à tous les étages. Johannes Brahms avait intégré la famille Schuman. Après la tentative de suicide de Robert puis son internement et sa mort, Brahms s’occupa de la maison aux nombreux enfants, surtout quand Clara était en tournée, car il fallait bien faire bouillir la marmite. La passion de Brahms pour Clara Schumann est connue, le retour moins, car Clara a récupéré ses lettres adressées à Johannes Brahms et les a détruites. Il ne reste donc plus qu’une demi-histoire d’amour. Elle s’était vouée à promouvoir les œuvres et la mémoire de son mari. On peut ajouter le remords à la panoplie des sentiments amoureux. Bien que dans ce cas, on n’en sait pas grand-chose.

Le Lied est du grand art de la petite forme, qui doit toucher fort sur la courte durée, où la qualité du texte a son importance, pour la musique, mais aussi pour l’interprète. Il y faut de grands affects avec retenue et intimité. On n’y est pas les personnages ou l’incarnation des sentiments, on les raconte, on n’est pas dans la projection frontale qui peut être celle de l’opéra, ce serait ici ridicule, on est dans l’empathie et la subtilité.

Alice Ferrière s’attaque ici à des œuvres sublimes, elle en est à la hauteur, elle possède suffisamment son art pour nous en émouvoir. Nous avions quelques réserves au Salon Villa-Lobos de l’hôtel Bedford, certainement dues à l’acoustique très sèche, qui donnait parfois une certaine instabilité aux tenues dans le grave et l’harmonie piano, voix, alto déplaisante. Enfin de notre place. Plutôt que se répartir sur toute la largeur du salon, les musiciens auraient peut-être mieux fait de se regrouper... plus amoureusement.

Bref, rien de cela avec le cédé qui est de la beauté et de l’émotion plaquées romantisme, voix, piano, alto en symbiose.

Pierre-Henri Xuereb, Alice Ferrière, Nicolas Royer, hôtel Bedford, 19 avril 2023. Photographie © musicologie.org.

 Jean-Marc Warszawski
28 avril 2023


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