Se représenter la musique dans l'Antiquité, dans « musique, images, instruments : revue française d'organologie et d'iconographie musicale ». CNRS Éditions, Paris 2021 [228 p. ; ISBN 978-2-271-13133-1 ; 37 €]
Parmi les décors hérités des Antiquités grecques et romaines (gréco-romaines), et aussi égyptiennes, nombreux sont ceux qui font référence à la musique et aux musiciens : poteries (coupes, cratères, amphores, cruches, vases…), mosaïques, reliefs funéraires, d’autels à sacrifices, stèles, sarcophages, peintures ornant les murs des villas, notamment à Pompéi-Herculanum. Nous en trouvons ici de larges descriptions nécessaires à la question de savoir en quoi ces décors peuvent nous enseigner sur l’humanité qu’elles ont meublée et égayée, en sachant que c’est justement cette humanité disparue qui peut nous renseigner sur ces représentations graphiques… Une spirale hégélienne.
Il est bien entendu aujourd’hui que les représentations et les écrits du passé ne s’attachent pas à la description de la réalité de leur temps, même s’ils en fantasment des éléments. Ce n’est pas leur but, qui serait plutôt de renouveler des conventions et de flatter les attentes des personnes auxquelles on s’adresse.
Le dix-huitième numéro de la revue d’organologie et d’iconographie musicale, « musique, images, instruments » nous propose dix articles, lesquels, sous des angles d’attaque et des collections différentes, tentent de saisir les dynamiques sociales, plutôt de la haute société, attachée à ces représentations musicales.
Ce faisant, on nous mène à la découverte, on aiguise la curiosité, ouvre des réflexions entre instruments fidèlement représentés et instruments fantaisistes, voire inversés (il y a aussi au Moyen-Âge des représentations d’orgues, graves à droite et aigus à gauche), pourquoi représente-t-on ici des instruments qui n’ont plus cours ? Pourquoi, tel autre instrument semble être identitaire à tel lieu ? Quelle peut-être la relation à l’au-delà et à ses dieux ? À l’amour ? Y aurait-il eu, parfois, la volonté de représenter le son ? De quoi tel ou tel instrument est-il le symbole ?
En réalité la question clef est « pourquoi ». Pourquoi ce goût du décor, pourquoi représenter des scènes avec musiciens, à quel niveau intellectuel s’adressaient-elles ? On peut aussi penser à cette harmonie des sphères, dont le silence interrogeait les élites.
Même si en fin de compte on ne répond pas vraiment aux questions soulevées, au moins ces interrogations doivent-elles être présentes et nourrir l’imagination.
Peut-être même qu’une trop forte envie de répondre positivement à ces questions induirait s’injecter dans ce lointain passé des concepts de notre temps, comme Christophe Vendries qui voit dans la disposition des tesselles de la Mosaïque d’Achille à Skyros (Nîmes) la représentation du souffle, alors qu’on peut aussi y voir une disposition induite par la forme de la trompette qu’il faut suivre. Où bien Fabio Vergara Cerqueira et Claude Pouzadoux, plus optimistes que d’autres quant au rapport à la réalité des représentations musicales de l’Antiquité, avancent que la grande hétérogénéité des représentations des cithares d’Apulie serait due à des usages nouveaux (mais lesquels ?) alors que l’on sait qu’il peut y avoir plus de différences au sein d’un groupe, qu’entre groupes étrangers, ou bien quand ils estiment que le peintre apulien n’est pas naïf ni dépourvu de connaissances sur la pratique musicale […] Il a l’intention d’affirmer une coutume musicale régionale qui a pu se développer dans le nord de l’Apulie. et plu loin, ils pensent la revalorisation des traits culturels grecs originaires de l’Hellade, comme expression de résistance culturelle à l’avancée romaine.
Jean-Marc Warszawski
30 juin 2022
Christophe Vendries, Un instrument de musique peut en cacher un autre. Réflexions sur l’iconographie musicale dans la Rome antique.
François Lissarrague, Des lyres dans l’imagerie grecque : pour une iconologie musicale tempérée.
Daniela Castaldo, The kithara in the Hellenistic Age between Greece and Magna Graecia.
Fábio Vergara Cerqueira et Claude Pouzadoux, La cithare rectangulaire dans la céramique apulienne : aspects morphologiques, symboliques et sociaux.
Valérie Huet, Images sacrificielles et sonores : sur les pas du tibicen auprès de l’autel.
Katherine M. D. Dunbabin, The Masked Pipe-Player and the choraules in the Roman World.
Françoise Gury, Les Amours musiciens.
Anne-Françoise Jaccottet, Qui mène la danse dionysiaque ? Analyse d’un concept entre scène de genre, imaginaire culturel et reflet d’une pratique rituelle.
Susanna Sarti, Musical Themes on the Baratti Amphora.
Sibylle Emerit, Musiciens et processions dans le temple d’Hathor à Dendara : iconographie et espace rituel.
Vanja Hug, Le prétendu portrait de Wolfgang Mozart et Thomas Linley chez les Gavard des Pivets à Florence.
Thilo Hirsch, L’énigme de la Chanson trompette de Nicolas de Larmessin.
Denise Yim, The Portrait of Giovanni Battista Viotti by Élisabeth Vigée Le Brun.
Zdravko Blažeković, The Symbolism and Decorative Transformation of the Gusle among the Croats and Serbs.
Œuvres de Leopold Godowsky et de Karol Szymanowski par Mūza Rubackytė et Dmitri Makhtin — Fabuleux Cyprien Katsaris — Leipzig capitale musicale... et touristique — Giulio Biddau : deux genres de Domenico Scarlatti.
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Jeudi 30 Juin, 2022 1:21