Maria Szymanowska, Clara Schumann, deux pianistes et compositrices.
Récital de Jean-Pierre Armengaud (piano), œuvres de Maria Szymanowska et de Clara Schumann, présentation du deuxième volume des Cahiers Maria Szymanowska.
jeudi 24 novembre 2022, 19 h, Bibliothèque Polonaise de Paris, 6, quai d’Orléans, 75004 Paris. réservation conseillée ☎ 01 55 42 91 87. Invitation.
Maria Szymanowska (1789-1831) et Clara Schumann (1819- 1896) ont en commun d’avoir réussi à dépasser leurs talents reconnus de pianistes virtuoses pour affirmer, au mépris des conformismes sociétaux de l’époque, une dimension professionnelle de compositrice et un véritable style marqué par une exaltation créatrice et une expressivité très introspective. Toutes deux ont élaboré leur écriture sans intention idéologique et elles acceptent les contraintes d’écriture de leur temps. Leur créativité s’incarne plutôt dans l’exploration de nouveaux gestes pianistiques et sur le ressenti émotionnel de leurs propres trajectoires personnelles, riches en succès et rencontres. Bien qu’ayant réussi à faire passer leurs œuvres du Salon privé à la Scène publique – avec un courage et une énergie que l’on a du mal à imaginer de nos jours, non sans témérité chez Maria Szymanowska, persévérance et obstination chez Clara Schumann – elles se sont toutes les deux trouvées limitées par certains tabous liés au comportement attendu des femmes artistes de l’époque. Maria Szymanowska a dû s’installer à la fin de sa vie en Russie et Clara Schumann a été brisée par les drames de la vie familiale et le poids du génie de son mari malade, auquel elle vouait un amour fusionnel conquis de haute lutte.
Les ressemblances s’arrêtent là. L’histoire s’écrit tellement vite au xixe siècle qu’entre deux générations on constate un véritable changement d’époque. Maria Szymanowska, née l’année où commence la Révolution française, est une femme créatrice habitée de l’esprit des Lumières du xviiie siècle et du préromantisme humaniste de Jean-Jacques Rousseau ; elle accepte dans presque toutes ses œuvres les caractéristiques du « style brillant » de l’époque mais le transcende par une variété de dynamiques et de couleurs (dans la fantaisie), une vivacité spontanée et directe (dans le Nocturne en si bémol), non sans finesse et une fièvre « nationale » en faveur des idéaux de la Pologne en pleine construction institutionnelle, une vivacité spontanée et directe (dans le nocturne en si bémol), non sans finesse et une fièvre « nationale » en faveur des idéaux de la Pologne en pleine construction institutionnelle, incarnés par la poésie d’Adam Mickiewicz. Se mettant souvent en danger, Maria Szymanowska est en quelque sorte une « créatrice défricheuse », tant dans son mode de vie de femme pianiste sillonnant l’Europe de Londres à Moscou que dans celui de la compositrice militante, accueillant dans son Salon de Saint-Pétersbourg les artistes engagés en rup- ture de ban.
Clara Schumann s’inscrit depuis l'enfance (elle compose à partir de 11 ans) dans le parcours d’une femme artiste très « professionnelle » et elle bénéficie grâce à son père d’une formation musicale de haut niveau, imprégnée d’une très forte culture germanique. Son talent classique de pianiste se double d’une aspiration foncièrement romantique, et la rencontre avec Robert Schumann l’entraînera dans les fantasmes et les pointes de folie de la poésie romantique allemande et anglaise. Première grande pianiste virtuose moderne (avec Franz Liszt), elle a réussi à s’émanciper de son éducation musicale très formatée et de l’influence de son mari, pour s’inventer un style que l’on peut croire mimétique dans certaines pièces (variations sur un thème de Robert Schumann). Toute son œuvre recèle pourtant une originalité, une finesse d’approche, une atmosphère très personnelle avec quelques dissonances novatrices, comme dans cette romance en si bémol mineur, dédiée comme cadeau de Noël à son mari enfermé dans un hôpital psychiatrique, qui évoque à la fois la nostalgie des jours heureux et l’écho accablé d’un désespoir absolu. Son énergie, sa force émo- tionnelle, sa profondeur de sentiment qui expriment tour à tour l’amour de vivre et la réalité du malheur la placent au premier rang de ces femmes compositrices qui n’ont pu aller tout à fait jusqu’au bout de leur création. C’est ce sentiment de « musique d’empêchement » qu’elle exprime au plus haut niveau, et qui nous émeut.
Jean-Pierre Armengaud
Maria Szymanowska, Mazurkas nos 2, 5,8 (extraits du recueil des 25 mazurkas).
Clara Schumann, Polonaise en do majeur opus 1 no 2.
Maria Szymanowska, Fantaisie (Lento e sostenuto - a capriccio) ; Nocturne en si bémol.
Clara Schumann, Romance en si mineur, « Lebendes Gedenken » (Noël 1856) ; Variations sur un thème de Robert Schumann opus 20 ; Transcriptions de 3 Lieder de Robert Schumann : Er, der Herrlichste, opus 42 no 2 (poème d‘Adelbert von Chamisso), Sehnsucht, opus 51 no 1 (poème d‘Emanuel Geibel), Frühlingsnacht, opus 39 no 12 (poème de Joseph von Eichendorff).
Explorer l’oeuvre de Maria Szymanowska et son devenir en postérité, c’est interpeller les impensés idéologiques et symboliques de notre vie sociale et culturelle qui reconduisent les représentations genrées et discriminatoires sans en avoir vraiment l’air… « Quand Nannerl [la soeur de Mozart] a eu quinze ans, elle a dû arrêter la musique pour se marier » peut-on lire, sans autre forme de procès ni commentaire, au détour d’un ouvrage récent de bonne vulgarisation musicale destinée à la jeunesse. Donner voix à Nannerl et à toutes les femmes créatrices, telle est l’une des vocations des Cahiers Maria Szymanowska.
Patrick Chapelle
Président de la Société Maria Szymanowska
Le troisième volume des Cahiers, qui paraîtra en janvier 2023, aura pour thématique Écrire, vivre, composer au féminin.
Jeudi 24 novembre 2022 à 19h00, Bibliothèque Polonaise de Paris, 6, quai d’Orléans, 75004 Paris, réservation conseillée ☎ 01 55 42 91 87. Invitation.
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Vendredi 18 Novembre, 2022