musicologie

Les Lilas, 5 décembre 2022 — Jean-Marc Warszawski

Marc Ducret et Samuel Blaser voyageurs au Triton

Samuel Blaser et Marc Ducret au Triton, 3 décembre 2022. Photographie © musicologie.org.

Le guitariste Marc Ducret et le tromboniste Samuel Blaser compagnonnent de longue date et souvent. Mais un duo guitare électrique-trombone a de quoi éveiller la curiosité, ne serait-ce par la différence des textures acoustiques entre électronique et acoustique ou par sa rareté. Bref, ce n’est pas évident à imaginer. Mais ces brillants musiciens sont habitués aux expériences de tous genres, sauf académiques qui ne sont pas des expériences.

Ils étaient au Triton des Lilas, samedi dernier, troisième de quatre dates en duo, après une longue tournée européenne en novembre (Allemagne, Islande, Finlande, Italie, France), avec le batteur Peter Bruun. En fait dernière date, le concert à Toulouse du lendemain ayant été reporté et raison d’une grève dans les transports.

Le free jazz est tellement passé dans les mœurs, qu’en parler semble être un truc des temps lointains. Le jazz, à force de tirer les harmonies vers les couleurs et dissonances les plus lointaines a fini par en sortir. Il a fallu tout de même y mettre du sien, parfois avec pas mal de provocation, et de conviction plutôt que de méthode, voire de réelle musicalité. Mais aujourd’hui la liberté, qui n’a pas renvoyé l’académisme à l’histoire passée, est un courant esthétique parmi d’autres, où le grand art n’est pas de respecter au poil près la grille, la passacaille, de broder le thème en voltigeant sur les consonances et dissonances harmonies et les modes, mais justement d’en sortir pour en exprimer plus encore.

Le jazz, populaire et vivant, a mieux fait que la musique académique qui a voulu un temps chasser la musique dite tonale pour la remplacer par un système encore plus langagier, deux erreurs. Il fallait s’ouvrir à la fureur du monde et aux effets corporels des émotions, ce qui est différtent de ce qu’on peut en raconter (mais c’est trivial), et tenter d’en faire des histoires sonores, de développer le plaisir et l’envie des sons au-delà de ce que le solfège traditionnel permet... et de ce qui est prévu ou prévisible.

Samuel Blaser et Marc Ducret au Triton, 3 décembre 2022. Photographie © musicologie.org.

Ce soir, nous étions devant deux grands faiseurs du son. On les classe jazz, mais ils sont hors classe, même si un trait, un loop rythmique (il y en a eu de fabuleux) pourraient les y rattacher. Ils sont dans un entrepont de toutes les musiques sans aucun doute issues du souffle progressif des années 1970.  D’ailleurs, Marc Ducret, il y a peu, a arrangé, ou recomposé, la Suite lyrique d’Alban Berg pour sa guitare et les cordes du Quatuor Béla, un fleuron français du genre.

Ce qu’il peut sortir de sa guitare, sans grande complexité électronique (deux trois boîtes d’effets), et sans levier de vibrato, est inimaginable, aux doigts, au médiator, au bottleneck, le plat, le dos de la main... Le médiator électronique brièvement employé semble même être superflu. Toutes les attaques possibles, et toujours en flux musical cohérent, sans jamais tomber dans le bruitisme ou l’effet gratuit ou sans suite.

Mécaniquement et harmoniquement Samuel Blaser est plus limité, mais fait des merveilles de goût et de virtuosité pour assurer la cohérence sonore et poétique, n’utilisant pas le bruitisme des claquements sur le cuivre ou le cri qui caractérisait l’enfance du free jazz, mais avec parcimonie ne se prive pas des effets de glissando et de souffle-chanté qui donne des couleurs harmoniques granuleuses particulières.

En général, il n’y a pas vraiment de thèmes, mis il peut y en avoir, sinon des départs, un fragment mélodique, une suite de sons, un émén sonore, mais des parties écrites souvent sophistiquées, qui au-delà de l’effet de chœur ou de resserrement duettiste, sont plutôt des relances ou des plaques tournantes.

Curieusement le dernier morceau (nous n’avons pas retenu la liste) nous a fait penser, par son  thème un peu choral, un peu hymnique et ses glissandos appuyés au Star-Spangled Banner de Jimi Hendrix à Woodstock. De toute manière, Marc Ducret a du sang rock dans les veines (et quelle locomotive rythmique). Quant au bis, présenté avec humour, Le dernier Tango, sur la musique du film Le dernier tango à Paris (Gato Barbieri), il marque une grande virtuosité d’imagination et d’appropriation, même s’il y a là la volonté de démolir et de moquer l’original.

En cédé, Samuel Blaser et Marc Ducret, Voyageurs. Jazzdor Series, 2021.

 Jean-Marc Warszawski
5 décebre 2022


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Lundi 5 Décembre, 2022 15:02