Portbail-sur-Mer, 23-25 septembre 2022. Alain Lambert, photographies Patricia Segretinat.
Portbail, ses arches et ses jazz. Photographie © Patricia Segretinat.
Ce jeune festival deviendra grand, puisque sa deuxième édition a été une réussite, tant pour la fréquentation que pour la qualité et la diversité musicale, des jazz bien sûr avec des incursions vers la musique classique, la chanson française ou la musique du monde.
Les arches sont celles, au nombre de 13, du vieux pont enjambant le havre de Portbail sur la côte ouest du Cotentin, tout à côté de l’église fortifiée qui servira de cadre à deux concerts, dans une communauté de communes élargie à Saint-Lô d’Ourville, avec sa salle des fêtes à la belle acoustique, et à Denneville avec une chapelle moderne à deux pas de la plage.
Tout a commencé le vendredi avec une intervention du duo Continuum pour les scolaires, Jean Marc Larché au saxophone, et Yves Rousseau à la contrebasse, un des quatre organisateurs, avec son frère François, maire de la commune.
Shabda sextet à Saint-Lô-d'Ourville. Photographie © Patricia Segretinat.
Le soir, à Saint-Lô d’Ourville, le contrebassiste a réuni en résidence un groupe qui va prendre la route sous le nom de Shabda sextet après ce premier acte. On y retrouve Jean Marc Larché au soprano, Géraldine Laurent à l’alto, Jean Charles Richard au baryton et au soprano. Aux trois saxs s’ajoute le violon aventureux de Clément Janinet, aussi pour un arrangement à la mandoline électrique. Et pour compléter la section rythmique puissante, Christophe Marguet à la batterie volcanique. Un bel ensemble un peu inhabituel pour des morceaux à la fois très écrits et arrangés par Yves Rousseau pour faire écrin, à deux ou plus, aux impros de chaque musicien, sauf quand Géralidine Laurent part en trilles, toute seule, son alto résonnant superbement dans le silence soudain. La structure même du concert, deux thèmes à la fois, permet des enchainements sans reprise obligée, créant une riche complexité sonore — le nom du sextet en sanscrit signifie le son — à laquelle chaque musicien participe en ensemble ou en improvisant. Dans le dernier moment, aux titres turcs désignant le vent puis la plaine, la contrebasse à l’archet évoque les tourbillons du premier dans les roulements de la batterie, puis le soprano un peu doudouk de Jean Charles Richard nous entraine dans son voyage oriental sur une rythmique bien chaloupée. Avant un rappel au titre en sanscrit, en résonnance au nom du groupe. Un bien beau concert.
Le lendemain, le soleil, malgré les prévisions de la veille, est de retour pour deux jours.
Bach on the block à Portbail. Photographie © Patricia Segretinat.
À midi Bach on the block en l’église de Portbail, le duo de Pauline Bartissol au violoncelle et Jean Charles Richard au sax baryton propose diverses variations très actuelles autour d’extraits des Suites pour violoncelle de Bach. Le Prélude de la première est d’ailleurs joué classique pour ouvrir. Puis le baryton improvise son propre préambule avant que les deux instruments ne se retrouvent sur leur première invention. Les gigues et les sarabandes se succèdent dans des arrangements millimétrés ou improvisés, l’une soutenant l’autre ou inversement. En passant par un curieux moment percussif où les clefs du sax résonnent gravement dans les enceintes pour donner le rythme au violoncelle, et se terminant pour une superposition acrobatiques.de deux menuets qu’on aurait presque voulu entendre séparément d’abord. Un joli moment intemporel.
Stracho Temelkovski à Denneville. Photo Patricia Segretinat.
L’après-midi, on découvre à la chapelle de Denneville un multi-instrumentiste en solo, originaire de Macédoine du Nord, mais né à Grenoble, Stracho Temelkovski. Ala basse cinq cordes au son bien rond entre basse et guitare, à la mandole orientale, aux percussions qu’il joue en même temps de l’autre main, à la beat-box vocale, il s’inspire de toutes les musiques des Balkans pour en faire ses morceaux en duo ou en trio avec lui-même, mais nourris de rencontres avec d’autres musiciens qu’il évoque entre deux longs voyages musicaux. Un musicien improbable et captivant.
Guillaume de Chassy à Saint-Lô- d'Ourville. Photographie © Patricia Segretinat.
Le soir, retour à la grande salle de fêtes pour du piano seul. Guillaume de Chassy rejoue les mélodies de Barbara en nous faisant entendre d’autres paroles, muettes, dans des grondements tempétueux, des retenues, des hoquets, des fugues et des disparitions. On sent que les angoisses de la chanteuse et pianiste résonnent en lui, comme cette marche funèbre en accords sombres de L’Aigle noir, ou la pause inquiète entre deux phrases de La petite cantate. Pour Barbara est un hommage du musicien en forme de valse. Mais l’humour pince-sans-rire de ses interventions entre deux évocations instrumentales évite de sombrer dans la mélancolie. Et Septembre est moins sombre qu’il n’y paraît. D’ailleurs, le rappel, une reprise en clin d’œil à Bill Evans de la valse de Blanche Neige, Someday my prince will come, en est selon lui une réponse possible. Une relecture inspirée.
Echoes Of The Jungle à Portbail. Photographie © Patricia Segretinat.
Et toujours le soleil le dimanche midi devant l’église, en extérieur, avec vue sur le havre à marée basse, entre vent et nuages. Les Caennais du trio Echoes Of The Jungle, Simon Deslandes à la trompette, Samuel Frin au sax baryton, Nicolas Lelièvre à la batterie et à la cymbale volante, reprennent les grands thèmes de Duke Ellington de l’époque dite jungle justement, avec ses trompettes aux différents sons selon les sourdines, que maitrise si bien le trompettiste. Un jeune trio, inventif et joyeux, qui emmène tous ces thèmes vieux d’un presque siècle vers des rivages free, répétitif ou funky, selon leur fantaisie, pour faire redécouvrir une musique tellement novatrice en son temps. Pour conclure ce chouette festival aux multiples arches.
Alain Lambert
23-25 septembre 2022
© musicologie.org
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alain@musicologie.org ; Alain Lambert, tous ses articles.
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Mardi 27 Septembre, 2022 8:35